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spectacle qui me ferait crever de rire, s’il ne me faisait pitié, et si je n’étais forcé maintenant d’étudier la série d’absurdités en vertu de quoi il le juge. Je ne vois rien de plus bête que le Droit, si ce n’est l’étude du Droit ; j’y travaille avec un extrême dégoût et ça m’ôte tout cœur et tout esprit pour le reste. Mon examen même commence à m’inquiéter un peu, un peu, mais pas plus qu’un peu et je ne m’en foulerai pas la rate davantage pour cela. Voilà l’été qui revient, c’est tout ce qu’il me faut, que la Seine soit chaude pour que je m’y baigne, que les fleurs sentent bon et que les arbres aient de l’ombre. Connais-tu l’épitaphe d’Henri Heine ? la voici : « Il aima les roses de la Brenta. » Ce serait bien la mienne. Épitaphe du Garçon : « Ci-gît un homme adonné à tous les vices. »

Souvent je hausse les épaules de pitié quand je songe à tout le mal que nous nous donnons, à toute l’inquiétude qui nous ronge pour être forts, pour se faire une fortune et un nom. Que tout cela est vide et pitoyable !

À quoi bon toutes ces peines ?
Secouez le gland des chênes,
Buvez à l’eau des fontaines,
Aimez et rendormez-vous.

Être en habit noir du matin au soir, avoir des bottes, des bretelles, des gants, des livres, des opinions, se pousser, se faire pousser, se présenter, saluer, et faire son chemin, ah mon Dieu !

Où est mon rivage de Fontarabie où le sable est d’or, où la mer est bleue, les maisons sont noires, les oiseaux chantent dans les ruines !

Je connais encore les chemins dans la neige,