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nous être vus plus longtemps, et de ne pas avoir même pris un petit verre ensemble, n’eût-ce été qu’un verre de cassis (et on eût pardonné dans ce cas-ci). Mais je m’en console en pensant que l’année prochaine nous habiterons le même pays et le même quartier, voire même au mois de juin ou de juillet prochains que je passerai à Paris pour mon examen. Je dirai adieu à Rouen, au port et aux restaurations du Palais de Justice. En fait de restaurations, je n’aime que les restaurateurs ; et quant au port, pourvu qu’il soit frais, c’est tout ce qu’il me faut ; avec des choux même, c’est assez bon quand on a faim. Je dirai adieu à Rouen avec autant de satisfaction que Thomas en avait en quittant le collège. Thomas était une chanson de mon ami Catillon, hymne célébrant la joie de l’homme qui sort du collège. Il y avait ces deux beaux vers :

Vous autres citoyens du collège
Vous allez nu-pieds, nu-pattes dans la neige, etc.

À propos d’examen, je n’ai point encore ouvert mes livres de Droit. Ça viendra vers le mois d’avril ou de mai ; alors je travaillerai quinze heures, serai refusé et traiterai ensuite mes examinateurs de canailles, de ganaches, de pairs de France. Ou bien je serai reçu et je dirai que j’ai considérablement pioché ; les bourgeois me regarderont comme un homme fort et destiné à illustrer le barreau de Rouen, et à devoir défendre les murs mitoyens, les gens qui secouent des tapis par les fenêtres, assassinent le roi ou hachent leurs parents en morceaux et les mettent dans des pouches [sic], toutes choses que se permettent les Français.