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qu’en allant toujours, on se trouve enfin l’avoir escaladée. Peut-être, quand je t’ai écrit ma lettre (du reste je ne me la rappelle pas maintenant), étais-je dans un moment sombre. Cela m’arrive quelquefois, quand je suis étendu dans mon fauteuil, au coin du feu, à penser, à rêver. Le Peut-être de Rabelais et le Que say-je de Montaigne, tous deux sont si vastes qu’on s’y perd, et puis je deviens bête à tuer.

Et toi, bâtin, au lieu de perdre deux feuilles de papier à me moraliser, en quelque sorte, raconte-moi plutôt des blagues, des bonnes facéties […], car après tout c’est la meilleure chose, la plus simple, la plus douce. Ah ! si ma vie pouvait aussi être si douce, si simple ! si mes ans pouvaient tomber doucement comme les plumes de la colombe qui s’envolent tranquillement dans les vents, et sans être brisés, doucement, doucement !

Si tu veux apprendre des nouvelles, ou tout au moins une nouvelle, je t’apprendrai que je ne suis plus au collège ; et comme je suis tellement fatigué des détails de mon histoire et que j’en suis tanné, je te renvoie à Alfred pour la narration. Je vais donc me préparer au baccalauréat ferme ; mais pour commencer je suis d’une paresse extrême et je ne fais que dormir. J’aurais besoin plus que jamais, comme tu vois, de tes cahiers de philosophie, de physique et de mathématiques. Tâche de me les envoyer par le commissionnaire de ton pays, n’oublie pas, bâtin !

Je lis du Cousin et tout ce que tu voudras en accompagnement. Si tu étais un Dieu et que tu puisses me faire passer six mois d’un coup de tête, et me faire arriver demain matin au 20 août