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mémoires d’un astronome

y songer. Les enfants ne croient-ils pas que les chemins de fer et le téléphone ont toujours existé ?

Nos successeurs en verront bien d’autres, assurément, mais ils n’assisteront pas à une transformation aussi radicale. Ils en recevront une, entre autres, il est vrai, qui vaudra mieux peut-être que toutes les précédentes : la suppression de la guerre entre les peuples.

À l’âge de neuf ans, toutes mes classes de l’école primaire étant terminées, et au delà, je n’avais plus rien à y apprendre, et l’on me fit commencer le latin chez le brave curé du pays, dont le vicaire, l’abbé Lassalle, était fort excellent professeur. Nous étions trois élèves. L’un d’eux, Stanislas Minel, est actuellement percepteur en retraite à Paris, dans mon quartier ; l’autre, Louis Renard, est resté agriculteur, comme ses ancêtres, à Montigny. Quel a été le plus heureux des trois ? Aucun de nous ne s’est plaint de la destinée, mais il me semble bien que l’agriculteur est celui qui a été exposé, en toutes saisons, aux plus rudes besognes, et qui a le moins joui des agréments de la vie. Et pourtant, en réalité, sa carrière n’a-t-elle pas été la plus indépendante ? On a souvent associé le mot « gloire » à mon nom ; si cette association est justifiée, mon impression est que « la gloire », c’est les travaux forcés à perpétuité, parce qu’on entreprend trop, parce qu’on est toujours avide de savoir, parce qu’on ne peut rien finir, et j’ajouterai que ce mot est synonyme d’esclavage, justement par la raison que lorsqu’un nom est connu