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mémoires d’un astronome

qué vers 1830 et qui, sans être lourd, est d’une belle solidité. C’est là qu’il enfermait ses papiers précieux et ses écus, que je lui voyais mordre pour les éprouver, se défiant sans doute de la fausse monnaie de plomb. Il avait les dents belles et solides.

Oui, les enfants aiment les causeries de l’aïeul, les caresses de l’aïeule. Pour moi, cet amour était un tel culte que leur mort n’a pu m’être annoncée qu’à la suite de mille ménagements, et qu’il m’a toujours été absolument impossible d’aller visiter leur tombe au petit cimetière d’Illoud. Longtemps avant d’y arriver, mes yeux s’emplissent de larmes qui les voilent entièrement, et mes jambes ne me soutiennent plus. C’est là une impression nerveuse contre laquelle j’ai essayé de lutter plusieurs fois sans pouvoir aboutir à aucun résultat. C’est absurde, c’est même contradictoire, mais c’est ainsi.

Les joies lumineuses de notre enfance deviennent des tristesses invincibles et insurmontables, lorsque nous nous retrouvons aux lieux enchantés de ces bonheurs disparus, après le départ pour le monde inconnu, de tous ceux que nous avons aimés en ces jours exquis. Ils dorment là, dans le cimetière. Les collines sont aussi belles, les prairies aussi verdoyantes, le ciel aussi pur, la lumière aussi douce, le village aussi est là, tout ensoleillé ; il n’y a rien de changé, — et tout est changé ! Il vaudrait mieux n’avoir jamais senti, n’avoir jamais eu de bonheur, n’avoir jamais aimé.