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mémoires d’un astronome

simples jeux de la Nature ; les autres avaient été oubliées par des pèlerins. Comme je restais un peu sceptique sur une pareille explication, il m’apporta un jour triomphalement un volume de Voltaire, le tome 30 de la belle édition de ses Œuvres complètes en 70 volumes publiés à Paris en 1825, et me fit lire à la page 566 les lignes suivantes :

« Est-ce d’ailleurs une idée tout à fait romanesque de penser à la foule innombrable des pèlerins qui partaient à pied de Saint-Jacques, en Galice, et de toutes les provinces pour aller à Rome, chargés de coquilles à leurs bonnets ? Il en venait de Syrie, d’Égypte, de Grèce, comme de Pologne et d’Autriche. Le nombre des Romipèdes a été mille fois plus considérable que celui des hagi qui ont visité la Mecque et Médine, parce qu’on n’était pas forcé d’aller par caravanes. »

Cette plaisanterie de Voltaire revient plusieurs fois dans ses ouvrages, et il a l’air de l’avoir présentée sérieusement à ses innombrables lecteurs. Le philosophe de Ferney ne veut à aucun prix que les fossiles témoignent du séjour de la mer dans les contrées où on les trouve.

« Je ne nie pas, ajoute-t-il, qu’on ne rencontre à cent milles de la mer quelques huitres pétrifiées, des conques de Vénus, des univalves, des productions qui ressemblent parfaitement aux productions marines ; mais est-on bien sûr que le sol de la mer ne peut enfanter ces fossiles ? La formation des agates herborisées ne doit-elle pas nous faire suspendre notre jugement ? Un arbre n’a point produit l’agate qui représente parfaitement un arbre ; la mer peut parfaitement n’avoir point produit ces coquilles fossiles qui ressemblent à des habitations de petits animaux marins. »