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MERS ET TERRES SUR MARS.

rellement, une grande épaisseur. Reste donc la réflexion de l’image solaire sur une mer agitée. Or, eu égard au calme de l’atmosphère martienne, il est peu probable que l’intégration de ces petites réflexions donne aux mers un albedo supérieur à celui des régions continentales constituant, selon toute probabilité, les étendues orangées de la planète. Il ne faut pas oublier que nous voyons les principales taches grises au centre sous une incidence normale, et que dans ces conditions l’eau ne réfléchit que 9/500 de la lumière incidente, et que son pouvoir diffusif est très faible, comparé à celui des régions continentales.

D’autre part, les dégradations irrégulières de tons des taches grises ne sont pas inexplicables, ainsi que l’objecte l’astronome américain. Nos mers offrent, en effet, les mêmes phénomènes. Témoin le noir d’encre de l’Atlantique dans ses régions centrales, et le vert vif du banc de Terre-Neuve. La coloration d’une mer d’en haut dépend, en grande partie, de la nature des fonds voisins de la surface s’assombrissant là où il y a de la végétation sous-marine, pour s’éclaircir dans les régions sablonneuses.

L’hypothèse que les canaux représentent des chaînes de montagnes presque submergées paraît improbable. Il serait singulier que ces chaînes conservassent partout la même hauteur apparente et qu’il n’existât pas d’exemple où la chaîne s’abaissât pour disparaître dans l’eau. Et les déplacements ?

Voici, d’autre part, l’opinion de M. Schiaparelli[1] :

« L’ensemble de mes études sur la planète me conduit à rejeter l’opinion de M. Schaeberle. Lorsque nous regardons de l’eau profonde, soit la mer, soit un lac, d’une hauteur presque verticale, nous la trouvons invariablement très foncée. C’est là un fait bien connu de tous les touristes alpins. Lorsqu’on observe d’en haut l’un de ces lacs profonds qui abondent dans ces montagnes, il paraît aussi noir que de l’encre, tandis que les terrains environnants éclairés par le Soleil sont beaucoup moins sombres. L’explication en est simple, puisque la surface de l’eau pure réfléchit à peine 1/50 des rayons lumineux verticaux : les 49/50 autres pénètrent dans l’eau où ils sont complètement absorbés si la profondeur est de 100 ou 150 mètres. Je conclus de là que, si des mers existent sur Mars et si elles sont composées d’un liquide transparent, il est hors de doute qu’elles se comportent de la même façon et absorbent presque complètement la lumière… Mais, si ces mers étaient composées de lait ou de soufre fondu, ce serait évidemment tout autre chose.

» Le cap polaire boréal de Mars nous fournit un autre argument. Ce cap est situé dans les régions jaunes de la planète. Lorsqu’il fond, il se montre bordé d’une zone foncée qui se rétrécit à mesure que le cap diminue et qui disparaît

  1. Astronomical Society of the Pacific, t. V, 1893 ; p. 169.