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LA PLANÈTE MARS.

ccxlii.Th. Moreux et du Ligondès. — Les canaux de Mars[1].

M. Brenner croit pouvoir écrire : « Quelque hostile que je sois en général aux hypothèses, je livre la mienne à la publicité, parce qu’elle permet d’expliquer d’une façon toute naturelle et toute simple les phénomènes en apparence énigmatiques et incompréhensibles que nous observons sur Mars. Cette explication n’est pas contredite par les observations, elle n’est basée sur aucune idée inadmissible ; on ne saurait en demander davantage à une hypothèse. »

Discutons donc cette hypothèse.

Tout d’abord, il s’agit de préciser la question et de ne pas oublier les conditions que doit réaliser l’hypothèse scientifique. On l’a parfois comparée à une courbe qui serait astreinte à passer par certains points. Tout fait dûment constaté détermine un nouveau point de la courbe. L’allure de celle-ci se précise donc chaque fois davantage, jusqu’au moment où elle est tracée presque complètement. L’hypothèse scientifique doit s’appuyer sur des faits certains et, si l’on emploie les analogies, ce doit toujours être dans les limites permises par l’induction. Elle deviendra ainsi un levier puissant de l’esprit humain et un moyen d’investigation de premier ordre. Mais on oublie trop souvent ces qualités et, faute de réaliser ces conditions, bien des hypothèses n’ont pas le droit d’être introduites dans la Science.

Nous en avons une preuve dans un certain nombre de théories émises pour expliquer « l’énigme martienne » et, nous aurons le courage de le dire, l’argumentation de M. Brenner sur le même sujet est très faible en bien des points.

Dans le paragraphe où l’auteur veut nous résumer ce que nous savons de certain sur Mars, nous trouvons cette phrase : « Un simple regard sur ce réseau (de lignes généralement droites — les canaux —) suffit pour reconnaître qu’il ne peut être le résultat d’actions naturelles, mais bien d’une intervention artificielle ». Or là est précisément la question. Si un simple regard suffit, n’allons pas plus loin : tout dans la science devient une affaire de sentiment. Une comparaison va nous faire comprendre. Supposons qu’un homme, ignorant les merveilles de la cristallisation, pénètre dans un laboratoire où est installé un microscope solaire. Une goutte d’eau salée est déposée sur une mince lame de verre. Ô stupeur ! À mesure que s’écoulent les minutes, tout dans cette petite masse d’eau se met en mouvement. Les molécules, mues par l’attraction, accourent de tous côtés, se précipitent les unes vers les autres et se groupent en cristaux multiples, véritables édifices d’une symétrie extraordinaire. Le pauvre homme se demande quels ressorts cachés, quel préparateur, disons le mot, quel compère est dissimulé derrière l’écran transparent, dessinant à mesure ces merveilleuses configurations, pendant que le savant contemple avec un sourire malicieux son hôte, trop ignorant des lois de la nature.

  1. Bulletin de la Société astronomique de France, avril 1899.