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BRENNER. — CANAUX ET INGÉNIEURS MARTIENS.

des intempéries, les montagnes diminuent sans cesse et que, au contraire, les vallées tendent à se combler ; on conçoit qu’avec le temps ce double phénomène ait eu pour conséquence le nivellement général de la planète, ce qui explique qu’aucun obstacle n’entrave le développement rectiligne des canaux.

La réponse à la deuxième question m’a été suggérée par M. Holtzhey, d’Erfurt, qui appela mon attention sur les digues de Hollande dans lesquelles je crois, en effet, avoir trouvé l’œuf de Colomb. Mon hypothèse serait la suivante :

Par suite du nivellement de Mars, les terres de cette planète ont été exposées aux envahissements de la mer, contre lesquels les Martiens se sont protégés à la façon des Hollandais, par l’établissement de digues. Ils ont d’abord protégé leurs côtes de la sorte, puis ils ont vu qu’il convenait de donner un écoulement aux eaux à travers des canaux. Ces canaux ont ainsi un triple but : ils doivent servir de dérivation pour les eaux de la mer, permettre la navigation dans tous les sens et arroser la planète dépourvue d’eau[1]. Par suite du grand éloignement de Mars, nous ne voyons jamais que les principaux canaux, les millions de petits canaux secondaires, et les petits canaux d’irrigation qui conduisent l’eau partout et permettent la navigation sur tous les points, échappent à notre vue en raison de leur petitesse relative.

Tous les canaux sont encaissés entre deux digues qui n’ont pas besoin d’avoir une grande hauteur : quelques mètres doivent suffire pour les plus grandes, moins encore pour les petites. Le travail reste d’ailleurs le même, que les digues soient écartées de 5 mètres ou de 300 kilomètres, et la largeur des canaux s’explique par suite le plus naturellement du monde. L’intensité de la pesanteur à la surface de Mars n’est d’ailleurs que 0,376 de ce qu’elle est sur la Terre ; il ne faut pas non plus oublier que les canaux ne sont pas l’œuvre de milliers, mais de millions d’années, et que nous sommes tout à fait hors d’état de concevoir ce que peuvent être les moyens techniques dont disposent les Martiens[2]. Qui pourrait dire jusqu’où ira l’esprit humain en matière de découvertes et d’inventions dans des millions d’années ?

L’établissement d’un réseau de canaux tel que nous l’observons sur Mars n’a donc rien d’impossible ou d’invraisemblable. Quant à la duplication des canaux, je suis convaincu qu’elle peut s’expliquer aussi d’une façon toute naturelle. La duplication n’est pas temporaire, elle existe toujours ; c’est-à-dire qu’il y a une quantité de canaux courant parallèlement l’un près de l’autre, qui parfois donnent ensemble l’impression d’un large canal unique, mais parfois aussi apparaissent séparés. Souvent aussi un seul des canaux jumeaux est visible ; pourquoi ? Pour les mêmes raisons qui font que nous ne voyons jamais tous les canaux à la fois,

  1. Il n’est pas absolument nécessaire que l’eau des mers martiennes soit salée ; d’ailleurs, le fusse-t-elle, qu’il ne serait pas impossible que l’eau salée fût une condition de vie pour les organismes martiens comme pour nos poissons de l’Océan. L. B.
  2. On peut penser que les canaux principaux ont été construits aussi larges pour éviter les débordements ; de petits canaux n’auraient pas suffi pour recevoir les eaux de la mer ; du reste ces grands canaux en ont une quantité de petits à alimenter. L. B.