Nous avons vu que la théorie qui subordonne la gémination aux saisons de Mars a été réfutée par le fait qu’on a observé des canaux doubles aux solstices martiens (Perrotin et Thollon en 1886, Stanley Williams et les astronomes de l’Observatoire Lick en 1892). Mais ce n’est pas là le seul côté faible de cette hypothèse. Si les canaux se dédoublaient réellement à une certaine époque, ils devraient tout aussi bien se simplifier à une autre, et comme depuis 1877 la planète s’est présentée à nous dans toutes ses saisons, nous aurions dû assister à cette seconde phase du phénomène. Mais il n’en a rien été. Au commencement des oppositions, les canaux paraissent d’abord comme des traînées larges sans limites, puis ils semblent s’amincir, pour se dédoubler ensuite et restent doubles jusqu’à la fin de l’opposition. Voilà des faits que l’hypothèse des saisons n’explique pas, mais dont la théorie optique rend compte par une accommodation de l’œil qui d’abord ne percevrait point ces détails qu’une pratique de quelques semaines finirait par déceler.
Ces résultats sont éloquents. Ainsi, pour moi, ces canaux et lacs doubles n’ont pas d’existence objective. Au lieu de chercher dans la constitution physique de Mars l’interprétation de lignes sautant sous l’impulsion d’une scissiparité magique de 500 kilomètres en 24 heures, ne ferions-nous pas mieux d’examiner ce qui se passe dans nos propres instruments et même dans nos yeux ? La différence focale nécessaire pour dédoubler des lignes fines est minime dans un instrument de moyenne puissance, et nous avons obtenu des résultats incroyables en enfonçant le tube oculaire d’un huitième de millimètre seulement.
Cette quantité est parfaitement admissible, pour des observateurs même expérimentés, car il y a toujours une certaine latitude dans la mise au point d’objets célestes, et l’on ne saurait guère prétendre mettre au point sur Mars à un micron près. D’autre part, notre œil, ainsi que l’a remarqué Helmholtz, est loin d’être un organe parfait. Le Dr Lloyd Andriegen a constaté dans ses études microscopiques que, lorsqu’il examinait de très petits objets à la limite de la visibilité sous de forts grossissements, les images se dédoublaient au bout d’un certain temps. Dans ce cas, l’œil n’avait plus son mécanisme accommodateur dans un état d’activité invariable et continue, mais bien d’oscillation ou d’intermittence. Parfois les efforts des muscles extérieurs de l’œil donnent lieu à un autre genre de diplopie unioculaire, transitoire.