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LA PLANÈTE MARS.

d’intersection, appelés lacs par M. Schiaparelli et oasis par M. Lowell. Si le lac est rond, on voit apparaître à côté de lui un simulacre circulaire de lui-même. S’il est allongé, il se dédouble en bandes parallèles, dirigées dans le sens de l’allongement.

Tels sont les faits. Essayons de les interpréter. La distance entre les deux bras d’un canal double variant, d’une gémination à l’autre, entre 3° et 10° ou 12° ou même 15° aréocentriques, et la valeur d’un degré sur Mars étant de 60 kilomètres, on voit que les deux lignes sont espacées de 180 à 600, 720 ou même 900 kilomètres. Et, comme le dédoublement est parfois complet en 24 heures, il faut nécessairement que la ligne parasite lancée par le canal primitif franchisse au plus vite ces distances, en allant se ranger dans une direction rigoureusement parallèle à celle de son sosie. En plus, il arrive souvent qu’aucune des deux lignes ne paraît correspondre avec le canal simple primitif. Or, si nous imaginions pour un instant la Seine disparaissant subitement pour donner lieu à deux bandes dirigées de Nantes à Marseille et de Dunkerque à Strasbourg, en laissant le pays intermédiaire dans un état d’estompage confus, nous aurions une idée des dédoublements des canaux de Mars.

Nous allons voir bientôt que cette disparition du canal primitif amenant la formation de deux bandes de part et d’autre est un principe fondamental des géminations optiques.

Nous ne pouvons certainement point admettre ces phénomènes comme ayant lieu vraiment sur cette planète, à moins d’obéir au goût, parfaitement humain, pour les prodiges. Mais il serait regrettable que cette soif du merveilleux nous entraînât à des interprétations irrationnelles des phénomènes observés. Lorsque nous assistons au dédoublement d’une tache solaire par l’invasion photosphérique, ou quand nous observons des taches doubles sur Saturne ou Jupiter, nous ne sommes guère émerveillés, car c’est là précisément ce que nous pouvons attendre des surfaces gazeuses de ces globes à densité voisine de celle de l’eau, surfaces où l’instabilité règne en souveraine. Mais nous venons de voir que l’écorce de Mars est bien autrement solidifiée, partant tout à fait réfractaire à la réalité objective des dédoublements.

Quant aux explications déjà énoncées de la gémination, elles sont peu satisfaisantes. M. Schiaparelli, qui croit que les canaux se dédoublent réellement sur Mars, disait en 1888 que « l’ensemble des observations donne quelque poids à l’idée que le phénomène doit être réglé par la période des saisons de Mars ; qu’il se produit principalement un peu après l’équinoxe de printemps et un peu avant l’équinoxe d’automne ; qu’après avoir duré quelques mois, les géminations s’effacent en grande partie à l’époque du solstice boréal, et disparaissent toutes à l’époque du solstice austral. La vérification de ces conjectures, ajoutait-il, ne se fera pas longtemps attendre, et une première occasion de la faire se présentera en 1892. L’opposition de cette année aura lieu dans les mêmes conditions à peu près que celle de 1877, et il faudra s’attendre à une absence complète de géminations. »