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LA PLANÈTE MARS.

aussi imaginer une grande fédération de l’humanité dans laquelle chaque vallée constituerait un État indépendant. L’intérêt de chacun et l’intérêt de tous ne se distinguent pas l’un de l’autre ; les sciences mathématiques, la météorologie, la physique, l’hydrographie et l’art des constructions y sont sans doute élevés à un haut degré de perfection ; les dissidences internationales et les guerres y sont inconnues : tous les efforts intellectuels qui, chez les habitants insensés d’un monde voisin sont consumés à se nuire réciproquement, sont unanimement dirigés à combattre l’ennemi commun, la difficulté que l’avare Nature oppose à chaque pas.

Je laisse maintenant, au lecteur, le soin de continuer ces considérations, et, pour moi, je descends de l’hippogryphe.

Telles sont les ingénieuses et originales considérations que l’illustre directeur de l’Observatoire de Milan a exposées dans cette curieuse étude sur Mars, en ayant pris la liberté de sortir un instant de l’austérité du savant et du mathématicien à laquelle ses profonds travaux nous ont accoutumés. En nous adressant cet article, il écrivit, en tête de la première page, en manière d’excuse : « Semel in anno licet insanire », mots que nous traduirions volontiers par : Il est permis de dire des folies deux fois par an. Si l’on n’en disait que de cette sorte, le monde serait plus sage.

De ces études, nous garderons certains arguments applicables au progrès de notre connaissance générale de la planète : variations des aspects de la surface dues à l’eau produite par la fonte des neiges, eau douce dans les régions boréales et pouvant être salée dans les régions australes ; origine naturelle des canaux et leur arrangement possible par l’industrie des habitants. Ce sont là des pierres pour notre édifice. Très certainement on peut discuter tout cela, non sans plaisir d’ailleurs. Nous avons vu plus haut, par exemple, que les irrégularités de tons, les traînées sombres observées dans les mers martiennes ont conduit plusieurs astronomes à penser que ce ne sont pas là de véritables mers. Cependant ces irrégularités de tons pourraient fort bien s’expliquer, dans l’hypothèse des mers, en admettant qu’elles ne sont pas profondes et qu’on en distingue les fonds, plus ou moins variés. On pourrait également admettre que ce sont des marais plus ou moins peuplés de plantes. Comparons les observations les plus contradictoires. Cherchons.

Les « canaux » ne pourraient-ils être produits par des successions de vallées plus ou moins rectilignes que l’œil réunirait ?