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LA PLANÈTE MARS.

Ce serait un problème non moins curieux que compliqué d’étudier le régime de ces immenses cours d’eau d’où dépend, sans doute, principalement la vie organique de la planète, étant donné que cette vie existe. Les variations d’aspect montrent que ce régime n’est pas constant. Parfois ces canaux sont d’une largeur considérable, qui peut s’étendre à 100 et 200 kilomètres, ce qui est arrivé, notamment, pour l’Hydaspe en 1864, pour le Simœnte en 1879, pour l’Achéron en 1884, pour le Triton en 1888. Il y a là des variations énormes.

Les saisons font varier considérablement les taches foncées, parmi lesquelles on en peut citer de fort petites, telles que la Fontaine de Jeunesse et le lac Mœris, qui ne dépassent jamais 100 à 150 kilomètres de diamètre.

Mais le phénomène le plus surprenant des canaux de Mars est encore leur gémination, laquelle semble se produire principalement dans les mois qui précèdent ou dans ceux qui suivent la grande inondation boréale, c’est-à-dire l’époque des équinoxes. En conséquence d’un rapide progrès qui, certainement, dure peu de jours, et parfois même quelques heures seulement, et dont nous ne connaissons pas encore les détails, un canal change d’aspect, et d’un trait se trouve transformé dans toute sa longueur en deux lignes parallèles uniformes. La distance entre les deux nouveaux canaux s’étend parfois jusqu’à 600 kilomètres ; leur ton varie du jaune roux au noir. Non seulement des canaux, mais des lacs se dédoublent.

Ces géminations ne se manifestent pas toutes ensemble, mais commencent à se produire çà et là à leur saison, sans ordre apparent. Certains canaux ne se dédoublent pas, par exemple le Nilosyrtis. Au bout de quelques mois, elles s’effacent, généralement vers le solstice austral de la planète. Les variations de largeur, d’intervalles, de position et de tons observés montrent que ces géminations ne peuvent pas être des fonctions stables, géographiques, comme les canaux.

L’observation en est d’une extrême difficulté et ne peut être faite que par un œil bien exercé ayant à sa disposition un instrument d’une grande puissance et d’une construction soignée.

Leur aspect singulier, leur dessin géométrique, qui rappelle les travaux faits à la règle et au compas, ont conduit à y voir l’œuvre d’êtres intelligents habitant cette planète voisine. « Je me garderai bien, ajoute l’auteur, de combattre cette opinion, qui n’a rien d’irrationnel ; mais, en tout cas, ce ne sont pas des travaux de caractère permanent, puisqu’une même gémination peut changer d’aspect et de grandeur d’une saison à l’autre. — On peut imaginer des œuvres qui n’excluent pas la variabilité, comme des travaux de culture et d’irrigation sur une grande échelle. Remarquons aussi que si l’intervention d’êtres intelligents peut expliquer l’aspect géométrique des géminations, elle n’est pas indispensable, néanmoins, car la nature agit souvent géométriquement : les sphéroïdes parfaits des corps célestes et l’anneau de Saturne n’ont pas été travaillés au tour, et ce n’est pas avec le compas que l’arc-en-ciel aux splendides couleurs est tracé