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LES CANAUX.

bition, la cupidité, la barbarie ajoutent souvent leurs orages volontaires aux intempéries fatales d’une planète imparfaite. Nous pouvons pourtant espérer que le monde de Mars étant plus ancien que le nôtre, son humanité est plus avancée et plus sage. Ce sont sans doute les travaux et les bruits de la paix qui animent depuis bien des siècles cette patrie voisine.

L’explication de fleuves modifiés par les habitants de Mars et d’un système rationnel de répartition des eaux devenues rares sur les continents aplanis par l’usure des siècles ne nous paraît pas absurde. Des brumes se formeraient facilement au-dessus de ces canaux, et quelque double réfraction atmosphérique, rappelant celle du spath d’Islande, pourrait expliquer les dédoublements. Après tout, nous sommes là devant un nouveau monde et nous ne devons rien nier de parti pris.

Soyons convaincus toutefois que la nature tient en réserve des causes inconnues de nous et sans doute plus simples que tout ce que nous pouvons imaginer. Notre savoir est insuffisant. C’est une erreur profonde de nous imaginer que les sciences aient dit leur dernier mot et que nous soyons en situation de tout connaître ; c’est une erreur non moins puérile de nous imaginer que nous soyons au courant de toutes les forces de la nature. Au contraire, le connu n’est qu’une île minuscule au sein de l’océan de l’inconnu. Nos sens, d’ailleurs, sont fort limités, nos moyens de perception s’arrêtent encore au vestibule ; notre science reste et restera toujours fatalement incomplète.

Assurément, ces bizarres phénomènes nous transportent sur un autre monde, bien différent de celui que nous habitons, quoique offrant avec lui de sympathiques analogies. Au point de vue de l’atmosphère, des saisons, des climats, des conditions météorologiques, Mars paraît habitable aussi bien et même mieux que la Terre, et peut fort bien être actuellement habité par une race humaine très supérieure à la nôtre, étant, selon toute probabilité, plus ancienne et plus avancée. L’industrie de ces êtres inconnus est-elle entrée pour quelque chose dans le tracé de ces canaux rectilignes qui se dédoublent en certaines saisons ? Reste-t-elle étrangère à ces variations si soudaines et si énigmatiques que nous observons d’ici ? Il faudra sans doute encore bien des années d’observation pour découvrir exactement ce qui se passe chez nos voisins du ciel.

C’est avancer de quelques pas la question que de préciser les faits et de les discuter méthodiquement. Tel a été le but de ce travail.