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LA PLANÈTE MARS.

Toutefois, d’autre part, sommes-nous autorisés à rejeter de parti pris l’hypothèse d’une action intelligente de la part des habitants possibles de cette planète voisine ?

Les conditions actuelles d’habitabilité de ce globe sont telles, comme nous l’avons vu plus haut, que nul n’est en droit de nier qu’il ne puisse être habité par une espèce humaine dont l’intelligence et les moyens d’action peuvent être fort supérieurs aux nôtres.

Nier qu’ils aient pu rectifier les fleuves primitifs, à mesure que les eaux devenaient plus rares, et exécuter un système de canaux conçus dans l’idée d’une répartition générale des eaux, nier la possibilité de cette action serait anti-scientifique, dans l’ignorance absolue où nous sommes à cet égard.

L’hypothèse d’une origine intelligente de ces tracés se présente d’elle-même à notre esprit, sans que nous puissions nous y opposer. Quelque téméraire qu’elle soit, nous sommes forcés de la prendre en considération. Tout aussitôt, il est vrai, les objections abondent. Est-il vraisemblable que les habitants d’une planète construisent des œuvres aussi gigantesques que celles-là ? Des canaux de cent kilomètres de largeur ? Y pense-t-on ? Et dans quel but ?

Eh bien (circonstance assez curieuse), dans l’hypothèse d’une origine humaine de ces tracés, on pourrait en trouver l’explication dans l’état de la planète elle-même. D’une part, nous avons vu que les matériaux y sont beaucoup moins lourds qu’ici. D’autre part, la théorie cosmogonique donne à ce monde voisin un âge beaucoup plus ancien que celui de la planète où nous vivons. Il est naturel d’en conclure qu’elle a été habitée plus tôt que la Terre, et que son humanité, quelle qu’elle soit, doit être plus avancée que la nôtre. Tandis que le percement des Alpes, l’isthme de Suez, l’isthme de Panama, le tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre paraissent des entreprises colossales à la science et à l’industrie de notre époque, ce ne seront plus là que des jeux d’enfants pour l’humanité de l’avenir. Lorsqu’on songe aux progrès réalisés dans notre seul xixe siècle : chemins de fer, télégraphes, applications de l’électricité, photographie, téléphone, etc., on se demande quel serait notre éblouissement si nous pouvions voir d’ici les progrès matériels et sociaux que le xxe, le xxie siècle et leurs successeurs réservent à l’humanité de l’avenir. L’esprit le moins optimiste prévoit le jour où la navigation aérienne sera le mode ordinaire de circulation ; où les prétendues frontières des peuples seront effacées pour toujours ; où l’hydre infâme de la guerre et l’inqualifiable folie des armées permanentes, ruine et opprobre d’un état social intellectuel, seront anéanties devant l’essor glorieux de l’humanité pensante dans la lumière et dans la liberté ! N’est-il pas logique d’admettre que, plus ancienne que nous, l’humanité de Mars soit