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LA PLANÈTE MARS.

travers le brouillard sans le déplacer sensiblement ; le vent emporte le nuage. Nous avons donné dans l’Atmosphère et dans nos Voyages en ballon les preuves de cette distinction.

Le sixième état que nous imaginons ici pourrait offrir une certaine ressemblance avec nos brouillards et en être en quelque sorte l’exagération. Il peut exister là un état de vapeur très dense et très proche de l’état liquide. Supposons une nappe de brouillard épais, visqueux, sombre, foncé, continuant les mers le long des rivages, remplaçant même parfois les lacs partiellement ou totalement. C’est une transformation de l’eau que nous pouvons accepter. En certaines conditions atmosphériques, l’eau peut passer de l’état liquide à l’état visqueux, puis à l’état nuageux, puis à l’invisibilité de la vapeur.

Les choses se passent comme si l’eau n’était pas absolument liquide, condensée par la pesanteur en des bassins stables, comme si ses molécules étaient séparées, formant seulement un fluide visqueux, plus lourd que l’air, soumis à d’autres forces qu’à la gravité. Imaginons, un instant, que ces molécules aient une tendance à s’agréger, mais puissent néanmoins obéir à d’autres influences, telles, par exemple, que l’électricité, le magnétisme planétaire, et d’autres forces inconnues (car nous ne devons pas avoir la prétention de connaître toutes les forces de la nature). Ces eaux, liquides peut-être au centre des mers, mais fluides, à l’état de vapeur ou de gaz visqueux sur les bords et sur les hauts fonds, ainsi que dans les fleuves ou canaux, peuvent s’étendre ou se resserrer suivant les conditions atmosphériques de chaleur, d’électricité, etc., n’ont plus de limites précises. Ces traînées de vapeurs seraient essentiellement variables d’aspect, d’épaisseur, de densité. Si, en certaines conditions, ces molécules sont électrisées, elles peuvent se repousser, comme on le voit dans les phénomènes dits d’électricité positive et négative, et produire les dédoublements observés. Ces canaux, ces lacs, ces étendues aqueuses peuvent changer de place. Ce seraient des sortes de brumes assez denses, et obéissant docilement aux forces qui les régissent : le voisinage des mers, l’humidité du sol, l’état hygrométrique de l’air, la température, l’électricité, etc.

Il faut admettre, il est vrai, une atmosphère bien calme. Or, tel paraît être l’état de celle de Mars.

Une telle hypothèse expliquerait ces variations d’étendue et de tons, ces dédoublements, ces disparitions et ces renaissances suivant les saisons, et tous ces innombrables changements d’aspects assurément difficiles à expliquer par des eaux de même nature que les nôtres.

Ces eaux martiennes ne doivent être ni chimiquement ni physiquement les mêmes que les nôtres. Qu’elles leur ressemblent à certains égards, c’est