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LA PLANÈTE MARS.

teur ; d’autre part, elles sont en partie vérifiées aujourd’hui par un certain nombre d’observateurs différents. Nous croyons donc devoir considérer cet étrange réseau de lignes droites comme existant réellement, au moins dans son canevas essentiel. Certains détails restent douteux.

Pouvons-nous en trouver l’explication ?

Il n’y a rien d’analogue sur la Terre. Et nous n’avons malheureusement que nos idées terrestres pour raisonner.

Les hypothèses ne manquent pas, assurément ; mais c’est la véritable cause qu’il faudrait découvrir.

Celle que nous avons examinée plus haut, présentée par M. Fizeau à l’Académie des Sciences, et qui consiste à voir dans ces canaux des crevasses ouvertes en d’immenses champs de glace, ne nous paraît pas admissible, par la raison toute simple que nous observons d’ici les glaces de Mars et que nous les voyons limitées à quelque distance des pôles. Les mers et les continents présentent un tout autre aspect, les premières gris plus ou moins foncé, les seconds jaune d’ocre plus ou moins rouge, qui les distingue absolument des glaces blanches. Voudrait-on imaginer que les glaces des continents sont rougeâtres tandis que celles des pôles restent blanches ? Mais si la planète était à une époque glaciaire, pourquoi ses mers, encastrées dans des continents gelés, ne seraient-elles pas gelées aussi ? Ces mers sont, pour la plupart, toutes petites et n’ont presque pas d’eau. Si les continents de Mars étaient des glaciers profonds et crevassés, tout serait gelé là. Or, même en hiver, les mers sont foncées et non gelées. Mars n’est donc pas un glacier.

On a proposé aussi d’admettre (voy. L’Astronomie, 1888, p. 384, article de M. E. Penard) que ces lignes énigmatiques pourraient représenter des fissures, des cassures géologiques, produites par le refroidissement de la planète. La vallée du Rhin, entre les Vosges et la Forêt-Noire, résulte d’une action de ce genre. Le cours du Rhône paraîtrait également rectiligne vu de loin. L’hypothèse est plausible, sans doute, et plus acceptable que la précédente, mais elle a contre elle la régularité de ces immenses lignes droites et leurs entrecroisements non moins rectilignes. Il faudrait admettre que le globe de Mars soit entièrement fendillé sur toute sa surface continentale. Ce n’est pas impossible. Les eaux pénétreraient facilement dans toutes ces cassures. Mais il faut avouer que l’aspect de ces lignes (revoyez les cartes, p. 361 et 440) ne favorise pas cette hypothèse naturelle. La nature trace-t-elle sur un globe de pareilles lignes droites s’entrecoupant de cette façon ?

M. Schiaparelli s’est demandé (voy. p. 444), sans solution acceptable, s’il n’y aurait pas là un résultat géologique rappelant les formes géométriques cherchées dans l’orographie terrestre elle-même par Élie de Beaumont.