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SCHIAPARELLI. — LES CANAUX.

qui le côtoyait sur toute sa longueur à une distance de 5° environ entre le Lacus Lunæ et le Fons Juventæ. Cette bande n’était plus visible le 18 et le 19 ; toute la région environnante était parsemée de taches blanches. Ces taches n’existaient plus le 20 ; mais la bande nouvelle avait reparu, plus noire, plus étroite et mieux définie, cette fois ; elle ressemblait au Ganges, quoiqu’elle fût un peu plus faible : le Ganges était doublé, et son aspect ne changea plus jusqu’à la fin des observations de cette année 1882. L’apparition d’une nappe blanche ou blanchâtre de part et d’autre d’un canal à l’époque de son doublement a été signalée plusieurs fois, en 1882 pour le Thoth, en 1888 pour le Protonilus et le Népenthès : cette nappe blanche se montrait très distinctement entre les deux lignes de la gémination.

J’ai vu assez fréquemment les deux lignes se dégager simultanément d’une nébulosité grise plus ou moins intense, allongée dans la direction du canal ; j’incline même à conclure que cet état de nébulosité est un phénomène essentiel dans la production des géminations. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agisse ici d’objets cachés par une espèce de brouillard, qui deviennent visibles par sa disparition. Autant que j’ai pu en juger, ce qui apparaît sous l’aspect de nébulosité n’est point un obstacle à la vision d’objets préexistants, mais c’est plutôt une matière dans laquelle se prononcent des formes qui n’existaient pas. Pour expliquer ma pensée, je dirai que le procédé n’est pas comparable à des objets qui se dégagent d’un brouillard devenu plus rare, mais plutôt à une multitude de soldats dispersés irrégulièrement, qui, peu à peu, se forment en rangs et en colonnes. Je dois ajouter que ceci doit être considéré comme une impression, et non comme le résultat réfléchi d’observations proprement dites.

Puisqu’il y a une époque d’apparition pour les géminations, il faut qu’il existe aussi une époque où elles disparaissent ou s’effacent de quelque manière. Malheureusement, je n’ai encore pu rien observer de bien sûr à l’égard de cette phase du phénomène. Je puis seulement dire que plusieurs géminations de 1882 n’étaient plus visibles dans les oppositions suivantes ; le canal était redevenu simple, ou même avait disparu entièrement. Dans beaucoup de cas, l’éloignement de la planète ou l’état insuffisant de l’atmosphère terrestre donnait une explication plausible ou du moins possible des géminations disparues. Je crois que le caractère de ces phénomènes est périodique. Réellement, on ne pourra affirmer sans hésitation une telle périodicité qu’après les avoir vues paraître et disparaître plusieurs fois de suite ; cependant les observations faites jusqu’à présent suffisent pour la rendre probable. En 1877, aucune trace de gémination n’a pu être constatée pendant les semaines qui ont précédé ou suivi le solstice austral. Un seul cas isolé a été remarqué en 1879 : le 26 décembre, j’ai constaté la duplicité du Nilus entre le Lacus Lunæ et la large traînée appelée Ceraunius. C’était un mois avant l’équinoxe vernal, correspondant au passage du Soleil de l’hémisphère austral à l’hémisphère boréal de la planète. Ce phénomène me surprit un peu, mais je le considérai alors comme quelque chose d’accidentel. Pendant l’opposition 1881-82, j’ai attendu la répétition du même fait ; il se produisit, en effet,