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SCHIAPARELLI. — LES CANAUX.

bords des continents sur les mers[1]. La largeur est très différente d’un canal à l’autre, depuis le Nilosyrtis, qui peut arriver ou même dépasser 5° (300 kilomètres), jusqu’à de simples lignes sans largeur appréciable, telles que Galaxias, Issedon, Anubis et Erynnis en 1882, Æthiops en 1888, dont la largeur probablement ne dépassait pas 1° (60 kilomètres). Cette largeur est uniforme, à très peu d’exceptions près ; cependant Jamuna et Iris, en 1879, Hades et Athys, en 1882, Nilokeras, en 1886, ont montré des exemples bien certains de canaux plus larges à une extrémité qu’à l’autre.

La largeur d’un même canal peut changer avec le temps entre des limites très différentes, depuis le filet à peine perceptible dans les meilleures conditions atmosphériques, jusqu’à une large bande noire visible au premier coup d’œil. Nous avons un exemple bien remarquable de ces variations dans l’histoire du Simoïs, qui, invisible en septembre 1877, se présentait en octobre comme une ligne extrêmement fine. En 1879, il était noir et assez large pour compter parmi les canaux les plus considérables. Au commencement de janvier 1879, le Simoïs était aussi large et aussi noir que le Nilosyrtis ; largeur estimée 4°. En même temps parut, à droite du Simoïs, le canal appelé Ascanius ; et la portion de continent comprise entre l’Ascanius et le Simoïs (voir la carte) prit une teinte beaucoup plus sombre que les régions environnantes. Malheureusement cette partie de la planète n’a pu être bien observée les années suivantes, sa position étant trop australe et trop voisine du bord.

Un cas tout à fait identique a été offert par le Triton dont, en 1877, j’ai pu voir seulement la moitié à droite entre le Léthes et le Népenthès. Dans les oppositions suivantes, il a été possible de le suivre tout entier depuis le Népenthès jusqu’à la mer Cimmerium, avec plus ou moins de facilité. Mais, dernièrement (en mai 1888), il devint extraordinairement large, et formait un vaste détroit. Et, ce qui est bien remarquable, la Syrtis Parva s’est élargie considérablement aux dépens de la Libya et cette dernière s’est fort assombrie, comme je l’ai déjà rappelé plus haut. Cette coïncidence de l’élargissement du Simoïs et du Triton et de l’assombrissement d’une vaste région contiguë n’est probablement pas un simple hasard. Du reste, tous les canaux de la planète paraissent plus ou moins sujets à de semblables variations. Le Nilosyrtis lui-même m’a offert un maximum de largeur en 1882 et un minimum en 1886 ; mais la différence entre le maximum et le minimum était, dans ce cas, bien moins considérable. Nous savons aussi par les observations de Dawes et de Secchi, que l’Hydaspes en 1864 et en 1858 était un des canaux les plus visibles, ce qui n’a plus eu lieu pendant la période de mes observations (1877-1888). Et M. Van de Sande Backhuyzen a reconnu, dans les dessins de Schrœter, l’existence de taches sombres considérables qui n’ont plus

  1. Cette précision de la limite entre les continents et les mers de Mars est niée absolument par quelques observateurs. Un coup d’œil sur la planète, telle qu’on la voit dans nos deux réfracteurs de Milan, suffirait pour les détromper. Il y a naturellement exception à faire pour les régions de nature intermédiaire entre les mers et les continents, où le passage est quelquefois très graduel. (Sch..)