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LA PLANÈTE MARS.

surprise, d’autant plus grande que, quelques jours auparavant, le 23 et le 24 décembre, j’avais observé avec soin cette même région sans rien découvrir de pareil. J’attendis avec curiosité le retour de la planète en 1881 pour savoir si quelque phénomène analogue se présenterait dans le même endroit, et je vis reparaître le même fait le 11 janvier 1882, un mois après l’équinoxe de printemps de la planète (qui avait eu lieu le 8 décembre 1881) : le dédoublement était encore évident à la fin de février. À cette même date du 11 janvier, un autre dédoublement s’était déjà produit : celui de la section moyenne du canal des Cyclopes, à côté de l’Elysium.

» Plus grand encore fut mon étonnement lorsque, le 19 janvier, je vis le canal de la Jamuna, qui se trouvait alors au centre du disque, formé très correctement par deux lignes droites parallèles, traversant l’espace qui sépare le lac Niliaque du golfe de l’Aurore. Tout d’abord je crus à une illusion causée par la fatigue de l’œil et à une sorte de strabisme d’un nouveau genre ; mais il fallut bien se rendre à l’évidence. À partir du 19 janvier, je ne fis que passer de surprise en surprise ; successivement l’Oronte, l’Euphrate, le Phison, le Gange et la plupart des autres canaux se montrèrent très nettement et incontestablement dédoublés. Il n’y a pas moins de vingt exemples de dédoublement, dont dix-sept ont été observés dans l’espace d’un mois, du 19 janvier au 19 février.

» En certains cas, il a été possible d’observer quelques symptômes précurseurs qui ne manquent pas d’intérêt. Ainsi, le 13 janvier, une ombre légère et mal définie s’étendit le long du Gange ; le 18 et le 19, on ne distinguait plus là qu’une série de taches blanches ; le 20, cette ombre était encore indécise, mais le 21 le dédoublement était parfaitement net, tel que je l’observai jusqu’au 23 février. Le dédoublement de l’Euphrate, du canal des Titans et du Pyriphlégéton commença également sous une forme indécise et nébuleuse.

» Ces dédoublements ne sont pas un effet d’optique dépendant de l’accroissement du pouvoir visuel, comme il arrive dans l’observation des étoiles doubles, et ce n’est pas non plus le canal lui-même qui se partage en deux longitudinalement. Voici ce qui se présente : À droite ou à gauche d’une ligne préexistante, sans que rien ne soit changé dans le cours et la position de cette ligne, on voit se produire une autre ligne égale et parallèle à la première, à une distance variant généralement de 6° à 12°, c’est-à-dire de 350 à 700 kilomètres ; il paraît même s’en produire de plus proches, mais le télescope n’est pas assez puissant pour permettre de les distinguer avec certitude. Leur teinte paraît être celle d’un brun roux assez foncé. Le parallélisme est quelquefois d’une exactitude rigoureuse. Il n’y a rien d’analogue dans la géographie terrestre, Tout porte à croire que c’est là une organisation