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SCHIAPARELLI. — OBSERVATIONS ET DESSINS.

foncées sont devenues claires. De telles métamorphoses prouvent que la cause de ces taches foncées est un agent mobile et variable à la surface de la planète, soit de l’eau ou un autre liquide, soit de la végétation, qui se propagerait d’un point à un autre.

» Mais ce ne sont pas encore là les observations les plus intéressantes. Il y a sur cette planète, traversant les continents, de grandes lignes sombres auxquelles on peut donner le nom de canaux, quoique nous ne sachions pas encore ce que c’est. Divers astronomes en ont déjà signalé plusieurs, notamment Dawes en 1864. Pendant les trois dernières oppositions, j’en ai fait une étude spéciale, et j’en ai reconnu un nombre considérable qu’on ne peut pas estimer à moins de soixante. Ces lignes courent entre l’une et l’autre des taches sombres que nous considérons comme des mers, et forment sur les régions claires ou continentales un réseau bien défini. Leur disposition paraît invariable et permanente, au moins d’après ce que j’en puis juger par une observation de quatre années et demie ; toutefois leur aspect et leur degré de visibilité ne sont pas toujours les mêmes et dépendent de circonstances que l’état actuel de nos connaissances ne permet pas encore de discuter avec certitude. On en a vu en 1879 un grand nombre qui n’étaient pas visibles en 1877, et en 1882 on a retrouvé tous ceux qu’on avait déjà vus, pendant les oppositions précédentes, accompagnés de nouveaux, Quelquefois ces canaux se présentent sous la forme de lignes ombrées et vagues, tandis qu’en d’autres occasions ils sont nets et précis comme un trait fait à la plume. En général, ils sont tracés sur la sphère comme des lignes de grands cercles : quelques-uns montrent une courbure latérale sensible. Ils se croisent les uns les autres, obliquement ou à angle droit. Ils ont bien 2o de largeur, ou 120 kilomètres, et plusieurs s’étendent sur une longueur de 80° ou 4 800 kilomètres. Leur nuance est à peu près la même que celle des mers, ordinairement un peu plus claire. Chaque canal se termine à ses deux extrémités dans une mer ou dans un autre canal : il n’y a pas un seul exemple d’une extrémité s’arrêtant au milieu de la terre ferme.

» Ce n’est pas tout. En certaines saisons, ces canaux se dédoublent, ou, pour mieux dire, se doublent.

» Ce phénomène paraît arriver à une époque déterminée et se produire à peu près simultanément sur toute l’étendue des continents de la planète. Aucun indice ne s’en est signalé en 1877, pendant les semaines qui ont précédé et suivi le solstice austral de ce monde. Un seul cas isolé s’est présenté en 1879 : le 26 décembre de cette année (un peu avant l’équinoxe de printemps, qui est arrivé pour Mars le 21 janvier 1880), j’ai remarqué le dédoublement du Nil, entre le lac de la Lune et le golfe Céraunique. Ces deux traits réguliers égaux et parallèles me causèrent, je l’avoue, une profonde