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LA PLANÈTE MARS.

DESCRIPTION DE LA SURFACE DE MARS.

M. Schiaparelli commence par faire remarquer que, lorsqu’il s’agit d’inscrire rapidement ce que l’on observe dans une lunette, l’important est de ne pas perdre de temps en périphrases et que les désignations les plus courtes sont les meilleures. La ressemblance des aspects à ceux de la géographie terrestre fait tout naturellement inscrire les noms usités dans le langage habituel, tels que île, isthme, détroit, canal, péninsule, promontoire, etc. Mais ces désignations « ne font rien préjuger sur la nature des taches et sont un simple artifice pour aider la mémoire et abréger les descriptions. » L’auteur ajoute : « Nous parlons de la même façon des mers lunaires, que nous savons fort bien n’être pas de véritables mers. »

Jusqu’ici, l’observateur ne se compromet pas. Mais il est, avec raison, selon nous, plus explicite un peu plus loin. Quelle est son opinion précise ? La voici :

« Sur la nature des taches sombres, on peut faire un nombre infini d’hypothèses plus ou moins arbitraires. Pourtant, nous n’en voyons que deux qui puissent se soutenir par une analyse suffisante, et, sur ces deux, il n’y en a qu’une qui donne une explication plausible de tous les faits observés.

» La première, qui assimilerait les taches de Mars à celles de la Lune, fait supposer la surface de la planète entièrement solide : la variété des tons proviendrait de celle des matériaux constitutifs de cette surface. Une telle hypothèse, quoique non entièrement impossible, ne réussit pas à expliquer les faits observés, à moins qu’on ne la complique d’autres hypothèses subsidiaires plus ou moins bizarres. L’existence des neiges polaires, dont la probabilité confine à la certitude, celle des brumes et des nuages, prouvent que, dans l’atmosphère de Mars, il y a une circulation météorique, que des vapeurs s’élèvent en certaines régions et se condensent en d’autres. On ne comprendrait pas que cette circulation se fît exclusivement en haut, sans que la surface de la planète y prît part. Si les vapeurs de Mars se condensent en cristaux en certains lieux, en d’autres elles doivent se condenser sous forme liquide. Ces condensations liquides, à moins de supposer que la surface de la planète soit exactement une surface équipotentielle, doivent se réunir dans les lieux les plus bas et donner naissance ou à des mers ou à des lacs plus ou moins étendus. Les voies par lesquelles ces condensations liquides se rendent à leurs réservoirs ne peuvent être que des ruisseaux ou des fleuves, de cours régulier ou intermittent. Tout ce système, il est vrai, pourrait être caché ou souterrain, comme la circulation de l’eau dans les déserts de l’Afrique ; ou encore les lacs en question pourraient être très petits et invisibles d’ici, et, en définitive, le mécanisme de la circulation des vapeurs atmosphériques pourrait être inobservable. Tout est possible ; mais les supposi-