Page:Flammarion - La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité, tome 1, 1892.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
LA PLANÈTE MARS.

a été faite exprès, — ce qui n’est pas le cas général dans les découvertes, — et qu’elle est le résultat de la plus louable persévérance. Nous venons de voir que l’année 1877 a été particulièrement remarquable à cause du rapprochement maximum auquel Mars devait se trouver de la Terre, l’opposition des deux planètes ayant été fixée par le calcul pour le 5 septembre de cette année-là. Le professeur Asaph Hall, astronome de l’Observatoire de Washington, pensa que ce serait là une circonstance extrêmement favorable pour vérifier le voisinage de Mars, à l’aide du grand équatorial de cet Observatoire[1]. Il se disait avec raison que, quoique plusieurs observateurs eussent déjà été déçus dans leurs espérances en cherchant un satellite à cette planète, ce n’était pourtant pas là une raison suffisante pour y renoncer définitivement, surtout en considérant que les conditions actuelles de la recherche étaient exceptionnellement favorables. Il se mit donc à l’œuvre dès les premières soirées du mois d’août, scruta les environs de la planète avec un soin minutieux, et, pour ne pas être gêné par son grand éclat, prit soin de la masquer ou de la faire sortir du champ de la lunette, de façon à pouvoir saisir la plus légère trace de satellite visible dans son voisinage.

Les premières nuits furent infructueuses, fatigantes et désespérantes, et l’astronome renonçait à continuer sa recherche, lorsque Mme Hall, secrétaire de son mari, insista vivement pour qu’il y consacrât « encore une soirée ». C’était le 11 août, M. Hall se mit à l’équatorial, et, trois heures plus tard, crut apercevoir un petit point lumineux qui fit battre son cœur. Mais à peine avait-il bien constaté son existence qu’un épais brouillard, s’élevant de la rivière Potomac, vint interrompre l’observation. Le ciel resta obstinément couvert pendant les nuits suivantes. Enfin, cinq jours plus tard, le 16, le ciel s’étant éclairci, l’astronome se précipita à sa lunette, retrouva le petit point, ne le perdit plus, et, en deux heures d’observation, constata qu’il marchait dans le ciel avec la planète. Ce petit point n’était donc pas une étoile fixe. Mais peut-être, — le hasard est si grand ! — l’une des innombrables petites planètes, qui gravitent centre Mars et Jupiter, passait-elle justement par là en ce moment ? On consulta les éphémérides et l’on trouva qu’en effet la planète Europa devait justement passer à cette date derrière Mars.

Un calcul préliminaire montra que si le petit point observé était un satellite, il devrait être caché par la planète pendant une partie de la nuit suivante du 17, mais devrait reparaître avant l’aurore, près de sa position

  1. Cette lunette, alors la plus puissante, a pour objectif une lentille de 26 pouces anglais = 0m,66.