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LA FIN DU MONDE

culinaire qui fonctionnaient encore, et surtout à la conservation et à l’utilisation de la chaleur solaire. L’espérance rayonna au-dessus de l’amoureux séjour comme le brillant arc-en-ciel après la sombre pluie ; ils oublièrent le passé et devinrent insouciants de l’avenir, tout entiers au bonheur présent.

Ils vécurent ainsi plusieurs mois dans l’ivresse de cette irrésistible attraction qui les unissait. On a dit que l’amour est la poésie des sens et l’éternel baiser de deux âmes. On a dit aussi que gloire, science, esprit, beauté, jeunesse, fortune, tout est impuissant à donner le bonheur sans l’amour. Nous pourrions ajouter qu’en ce dernier jour du monde, cet amour seul brillait encore comme une étoile dans la nuit universelle. Les deux amants ne s’apercevaient pas qu’ils s’embrassaient dans un cercueil.

Parfois, le soir, à l’heure où le soleil venait de descendre derrière les ruines, Eva sentait son âme oppressée en contemplant l’immense désert qui les environnait et, tout en serrant son bien-aimé dans ses bras, elle ne pouvait refouler les larmes qui venaient obscurcir ses yeux. Oui, elle espérait en l’avenir. Mais quelle solitude et quel silence ! Quel étrange héritage d’une aussi radieuse humanité ! Les souvenirs étaient là. Les livres de la bibliothèque racontaient les gloires du passé, les gravures les faisaient revivre devant les yeux