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LA FIN DU MONDE

sa mère chantant encore d’une voix pure et pénétrante les belles inspirations des derniers poètes, et de loin elle croyait revoir les dernières fêtes d’une société brillante, comme répercutées sur la face d’un lointain miroir. Puis, à son réveil, la magie des souvenirs s’évanouissait pour faire place à la réalité funèbre ! Seule ! seule au monde ! Et demain la mort, sans avoir connu la vie. Fin inéluctable, révoltes inutiles, condamnation du destin, c’était la loi brutale ; il n’y avait qu’à obéir, attendre la fin qui ne pouvait tarder, puisque ni l’alimentation ni la respiration n’entretenaient plus les fonctions organiques, ou bien ne pas l’attendre et se délivrer tout de suite d’une vie douloureuse et irrémédiablement condamnée.

Elle se dirigea vers la salle de bains, où l’eau tiède circulait encore, quoique les appareils combinés par l’industrie pour tous les soins domestiques eussent cessé d’être entretenus depuis longtemps déjà, les derniers serviteurs (races spéciales descendant des simiens antiques et transformées comme la race humaine avec l’appauvrissement des conditions de la vie terrestre) étant tombés, eux aussi, victimes de la diminution graduelle des eaux. Elle se plongea dans l’eau parfumée, fit jouer un commutateur qui laissa encore arriver la force électrique venue des cours d’eau souterrains non encore gelés, et parut, en éprouvant un repos réparateur, oublier un instant la