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EVA

Elle ne pleurait plus. Ses seize années renfermaient plus d’expérience et de sagesse que soixante années des époques fleuries. Elle savait qu’elle était la dernière survivante du groupe d’humains qui venait de s’éteindre, et que tout
bonheur, toute joie, toute espérance avaient disparu pour toujours. Ni présent, ni avenir. La solitude, le silence, la difficulté physique et morale de vivre, et bientôt le sommeil éternel. Elle songeait aux femmes d’autrefois, à celles qui avaient vécu de la vie réelle de l’humanité, aux amantes, aux épouses, aux mères, et ses yeux rougis et asséchés ne voyaient autour d’elle que les tableaux de la mort, et au delà des murs de verre, que le désert infertile, les dernières glaces et les dernières neiges. Parfois son cœur battait violemment dans sa poitrine juvénile, et ses petites mains ne parvenaient pas à comprimer ces battements tumultueux ; parfois, au contraire, toute vie semblait arrêtée dans son sein et sa respiration même était suspendue. Lorsqu’elle s’endormait un instant, elle revoyait en rêve ses jeux d’autrefois, sa sœur rieuse et insouciante,