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Joseph, Napoléon, Lucien, Louis et Jérôme, puis Marie-Anne, Marie-Annonciade et Charlotte. Or, M. Bonaparte était plus riche de nobles traditions et d’honneur que d’argent, et l’éducation de ses enfants ne lui causait pas de minces soucis. Un grand-oncle de Napoléon, archidiacre d’Ajaccio, se chargea d’être le premier instituteur de ses petits neveux et il fut le premier à deviner ce que serait le second fils de M. Bonaparte.

« Pour Napoléon, dit-il, il est inutile de songer à sa fortune ; il se la fera lui-même. Joseph, tu es l’aîné de la famille ; mais ton frère Napoléon en est le chef : garde-toi de l’oublier. »

L’enfant n’avait pas encore dix ans. Déjà, un caractère sérieux et réfléchi attirait sur lui l’attention. Ce n’était pas l’humeur chagrine, non plus que la tendance tyrannique dont des écrivains passionnés ont voulu charger son portrait. Napoléon aimait ses frères et ses sœurs, leur rendait volontiers service et se laissait parfois accuser de méfaits qu’ils avaient commis, sans que jamais la pensée lui vînt de dénoncer les vrais coupables. Il eut des compagnons de jeux, comme plus tard il devait avoir des compagnons d’études et s’en faire des amis. Seulement, ses jeux révélaient une tendance qui paraissait innée en lui et qu’avaient accentuée, sans doute, les bruits de guerre épars autour de son berceau : son jeu était le simulacre de la bataille ; son jouet favori, un petit canon qui pesait trente livres.

Souvent aussi, lorsque sa mère l’avait perdu, Napoléon était assis sur un banc rustique, sous un rocher qui formait une retraite profonde, en face de la mer. Là, ce n’étaient pas encore les livres qui occupaient ses longues heures de loisir, mais il rêvait et restait perdu dans la contemplation de la mer. Quand, enfin, on l’avait trouvé, il revenait plus silencieux, suspendu à la main de sa mère. On eût dit qu’il emportait avec lui, quelque chose de sa longue rêverie et que des projets se formaient déjà dans cette tête d’enfant. A son retour, ses camarades et ses frères l’appelaient le solitaire et l’accablaient de leurs taquineries. Lui ne répondait pas et les regardaient froidement.

Dans ses premières études, son intelligence développée lui donna bientôt le pas sur les autres élèves du grand-oncle archidiacre. Celui-ci mourut, et Napoléon qui avait dix ans le pleura.

Cependant, M. Bonaparte n’avait pu fermer les yeux sur les goûts précoces de l’enfant : « Il sera militaire, » disait-il, parfois, et quand Napoléon surprenait cette parole sur les lèvres de son père, son œil s’illuminait.

En 1776, une décision royale avait établi dix nouvelles écoles royales militaires : parmi elles, était le collège de Brienne, dont les religieux