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beau dans cette allégorie, dit-il, c’est de feindre que Bacchus prodigue ses amours à une femme délaissée et dédaignée par un autre ; car il est hors de doute que les affections appètent et briguent ce que dès longtemps l’expérience a rebuté. Que tous sachent donc que ceux qui s’assujettissent et s’abandonnent à leurs passions, attachent un prix exorbitant aux jouissances (soit qu’ils soupirent après les honneurs, les amours, la gloire, la science ou tout autre bien), ne désirent que des objets de rebut, objets qu’une infinité de gens, et, cela dans tous les siècles, ont, après l’épreuve, rebutés et comme répudiés[1]. »

Le baron de Vérulam, avec son tempérament de courtisan, n’a pas même soupçonné tout ce qu’il y a d’éminente raison et d’humaine vertu dans cette allégorie qu’il interprète d’une façon si alambiquée. Son esprit était-il capable de concevoir la belle leçon qui ressort de l’action de Bacchus, dans les circonstances dont la tradition l’a entourée ? Apercevait-il ce qu’il y a de sublime dans la délicate générosité du dieu libéral (Bacchus, était surnommé Liber) ? Pouvait-il sentir qu’il fallait empêcher la femme noire de croire que la couleur de sa peau pût être une cause de refroidissement dans l’amour, qu’elle a inspiré ? Je pense que non. Aussi est-il certain que, sous ce rapport, le sens moral de l’Européen moderne est complètement oblitéré ou, au moins, beaucoup en arrière des anciens !

Mais en tout il y a des exceptions. Dans le même temps où vivait Bacon, dans le même pays et la même race que lui il y eut un homme supérieur, animé de toutes les grandes et nobles aspirations qui donnent à l’esprit une trempe excellente. C’est Shakespeare. Le propre du génie, c’est

  1. Bacon, De dignicate et augm. scient., liv. II, ch. XIII.