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hommes dont la plus vive préoccupation fut toujours la conquête du monde.

La vertu même, qui fut dans la Rome républicaine le principal ressort du caractère national, n’était pas une qualité suffisante pour qu’on dédaignât les avantages d’un extérieur agréable. Sans doute Caton s’en moquait librement, dans sa stoïque et rustique simplicité ; mais tout le monde n’était pas des Catons. Le doux chantre de Mantoue nous a laissé la meilleure idée du prix que ses contemporains attachaient à la beauté. Il est vrai qu’il avait le tempérament plus grec que romain, nourri qu’était son esprit de toute l’élégance de la littérature de l’Hellade ; mais son poëme immortel ne reste pas moins comme le plus beau monument du monde latin. Dans un des plus touchants épisodes de l’Énéide, Virgile, de sa touche fine et souple, évoque pour charmer notre esprit un portrait des plus attrayants, c’est celui d’Euryale. Le poète pourrait, après avoir énuméré toutes les qualités que le jeune héros avait reçues de la nature, faire simplement ressortir sa vertu nue et sans fard ; cependant il ne s’en contente pas : pour lui, la vertu même emprunte un nouvel éclat des attraits de la beauté corporelle.

Gratior et pulchro veniens in corpore virtus[1]

Avec un tel esprit, il est certain que le premier mouvement d’un ancien ne dut pas être bien favorable a l’Éthiopien, beaucoup moins doué de ces formes harmonieuses, qui plaisent à la vue et attirent l’âme par le prestige qu’exercent naturellement sur elle toutes les belles proportions. Dans son inélégance sauvage, l’habitant des tropiques ne pouvait être considéré par le Grec ou par le Romain comme un homme de même valeur que ceux de leurs

  1. Virgile, Énéide, liv. V, v. 344.