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Zénith.
Tais-toi, nègre !
Nadir.

Est-ce ma faute, à moi ? L’ange ! tu deviens aigre
Le nez en l’air, au fond de toute chose assis,
Où tu vois des géants, je vois des raccourcis.
Ce que tu vois monter, moi je le vois descendre.
Tu vois la flamme aux fronts, je vois aux pieds la cendre.
Tout tient à la façon dont nous sommes placés.

J’avoue que lorsque j’eus ouvert pour la première fois Les quatre vents de l’esprit, ouvrage où se trouve la pièce dont j’ai extrait ces vers d’Hugo, j’éprouvai involontairement un malaise profond devant cette personnification fantaisiste du « maître ». Oui ce « Tais-toi, nègre ! » m’a sonné douloureusement au cœur. N’est-ce pas ainsi que les calomniateurs et les bourreaux de la race noire se sont toujours exprimes, toutes les fois que l’Éthiopien, certainement moins ridicule que le nègre Nadir, a voulu réclamer son droit et en appeler à la conscience humaine ? N’est-ce pas avec ces termes méprisants et sommaires qu’on lui a toujours fermé la bouche ? Par quelle mystérieuse coïncidence cette étrange réminiscence est-elle venue au grand penseur, au moment où dans une sublime inspiration, il croyait écouter « deux voix dans le ciel » ?… Mais à quoi bon questionner ! Le poète est un être privilégié ; il lui est permis de créer les images et les situations les plus capricieuses, sans qu’on puisse s’en prendre à sa raison ou à son cœur. Ici surtout, Victor Hugo est irrépréhensible. Poète, il est l’incarnation multiple de l’esprit populaire de sa race : il le reflète dans ses traditions comme dans ses convictions. À l’ange, la croyance vulgaire, conforme en cela aux dogmes théologiques, n’a jamais opposé que le diable. Or, le nègre, nous l’avons vu, c’est pour elle la fidèle image du diable. Aussi dans un autre vers, un peu plus loin, le barde immortel fait-il dire à Nadir :

« Monsieur, je suis un diable et vous êtes un ange. »