large conception, il applique à chaque situation la mesure qui y convient le mieux, au point de vue du bien·être et du développement moral de la communauté dont il dirige les destinées. C’est cette vérité de la plus haute philosophie politique que l’illustre Gambetta a traduite dans la célèbre formule de l’opportunisme. Si Toussaint-Louverture vivait à notre époque, avec sa grande intelligence, son tact réel, sa prévoyance de régénérateur social, il est certain que toutes ses actions tendraient plutôt à développer dans sa race cet esprit de liberté raisonnée et de légalité inflexible qui est le besoin actuel de l’évolution morale des Noirs en Haïti. Il aurait compris qu’après s’être constituée matériellement comme nation indépendante, il faut que la race dont il était un si noble et incomparable échantillon fasse preuve de la moralité la plus élevée, comme de la plus large intelligence. Or, pour faciliter cette dernière évolution, si délicate et si difficile dans l’espèce humaine, il est indispensable de favoriser le développement des caractères fermes et saillants, la manifestation des fières personnalités particulièrement trempées. Toutes ces choses ne se réalisent sincèrement et pleinement que là où se trouvent dignité et liberté. Les grandes âmes, comme les fleurs délicatement épanouies, se meurtrissent et se fanent inévitablement au contact brutal du despotisme. Non, Toussaint-Louverture n’eût jamais travaillé à rabaisser systématiquement le niveau moral des siens, pour la satisfaction éphémère et vaine de briller, isolé, dans le silence d’un pénible servilisme !
Dans toutes les grandes lignes de sa politique, il montrait, d’ailleurs, cette sagacité particulière aux hommes d’élite et qui les porte naturellement, spontanément, à la conception de toutes les idées justes et rationnelles, sans attendre que les spéculations philosophiques viennent les ériger en principes, après une longue suite de tâtonnements