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devenir en cet être, le premier de tous en dignité, la source des plus pures affections, le stimulant de tous les sentiments chevaleresques, n’est en ce moment là que la source des passions les plus brutales, des appétits les plus grossiers.

Quod cuique obtulerat præde fortuna, ferebat,
Sponte sua, Sibi quisque valere et vivere doctus.
Et Venus in sibis jungebat corpora amantum:
Conciliabat enim vel mutua quamque cupido,
Vel violenta viri vis atque impensa libido,
Vel pretium, glandes, atque arbuta, vel pira lecta[1].

Les vers de Lucrèce sont une peinture fidèle, mais encore idéalisée de la vie que l’homme des temps préhistoriques était condamné à mener ici-bas. Plié sous le poids de la fatalité qui semblait conjurer tous les éléments pour faire de lui un être purement sensitif et rivé pour jamais à une existence végétative, il a trouvé dans la puissance mystérieuse qui est en lui, la force nécessaire pour se débarrasser de toutes ces chaînes et marcher, de triomphe en triomphe, à la conquête du monde. C’est un résultat si beau, si extraordinaire que, jouissant paisiblement de tous les raffinements de la civilisation, sentant s’épanouir en lui tous les sentiments de délicatesse, vraies fleurs du cœur, toutes les notions scientifiques, vraies fleurs de l’esprit, le successeur de l’homme antédiluvien, aujourd’hui transfiguré, ne peut croire à la réalité d’une telle métamorphose. Plus il se compare à ce type inférieur, ignorant et

  1. « Chacun ravissait la proie que la fortune lui offrait, et, sans autre
    maître que son instinct, usait de ses forces et ne vivait que pour soi.
    Point d’autres unions que celles que Vénus ménageait dans les forêts
    entre les amoureux. La femme y était amenée ou par la réciprocité
    des désirs, ou par la violence de l’homme qui n’écoutait que sa passion, ou par quelque présent tel que des glands, des arbouses, ou des
    poires choisies. » — Lucrèce, De natura, rerum, liv. V, vers 959-963.
    — Traduction de M. Crouslé.