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ou jeune homme, on n’accepte pas, joyeux, une alliance dont les fruits sont d’avance frappés d’une déchéance inéluctable. Dans la brutalité de cette doctrine, ce n’est pas seulement le mulâtre qu’elle met en garde contre l’alliance avec le noir, mais aussi celui-ci qu’elle défend de désirer une main jaune dans sa main noire, sous peine de procréer des êtres inférieurs à lui-même, lui que tous proclament le dernier des hommes !

Comprend-on une telle malédiction ? Si le noir a toujours été mal considéré par la race blanche, si le mulâtre est resté longtemps pour elle un être monstrueux, le griffe n’est-il pas, en un de compte, le bouc émissaire de toutes ces théories enfantées par le préjugé et qui, faute de lumière et de contradiction, se sont enfin immiscées dans le courant de la science ? Aussi là où un mouvement involontaire fait oublier le mépris systématique que l’on professe pour l’Africain pur, le griffe, moins heureux, reste encore marqué du sceau de la réprobation.

On peut en voir un exemple frappant dans la première production littéraire du plus grand penseur de ce siècle, de Victor Hugo. Le poète, quel que soit son génie, en vertu même de son génie, est toujours le fidèle reflet de la pensée de son siècle ; il n’est vraiment supérieur que lorsqu’il sait interpréter cette pensée, tout en l’idéalisant. Dans Bug-Jargal, Victor Hugo a voulu mettre en évidence le caractère de chacune des variétés humaines représentées par ses héros. Il montre le blanc généreux, le noir poétiquement noble ; mais du griffe il fait l’être le plus hideux. Habibrah, qu’il présente comme un griffe, est au physique, laid et difforme ; au moral, grincheux, lâche, envieux et haineux. C’est une œuvre d’adolescente jeunesse, mais cela ne fait que mieux ressortir l’influence que les idées ambiantes ont dû exercer sur l’enfant sublime, le futur maître de la poésie française.