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qui toujours a été choyée. Enfin, l’éducation qu’elle a reçue l’a portée à refouler ses sentiments, à les empêcher de se traduire au dehors par des actes ; mais ils restent là au dedans, inexploités, ils se décuplent.

La jeune fille a passé l’après-midi à arpenter la rue. Elle n’est allée rendre aucune visite. Elle se sent trop absorbée par ses pensées. Elle a marché d’un pas lent en regardant les vitrines, en examinant les passants à la dérobée, les étudiant ; ils l’intriguent ces promeneurs indifférents. Ont-ils comme elle des idées qu’ils ne peuvent arriver a chasser. Pensées tristes ou gaies, mais obsédantes. Elle sent deux mouvements contradictoires s’élever en elle. D’un côté, c’est son enthousiasme débordant, toute la promesse de bonheur qu’elle se fait de la venue de Guy, dans un mois à peu près, de cet avenir si rapproché mais qu’elle ne peut avancer d’une seconde ; de l’autre, c’est une inquiétude lancinante causée par l’attitude de sa mère. Est-elle malade ? Seule la pensée de son prochain mariage ne devrait pas être suffisante à la mettre dans un tel état ? Elle ne sait plus que supposer.

Elle s’efforce d’être confiante malgré tout. N’a-t-elle pas l’habitude de dire : « À quoi bon pleurer ? Cela ne guérit rien et enlaidit. »

Dans le corridor elle croise un Monsieur qu’elle a déjà vu, il s’incline obséquieusement, elle rend le salut en se demandant où elle l’a déjà rencontré ? Il la tire d’embarras en se nommant. Elle se le rappelle bien maintenant. Le notaire de la famille. Il était là le jour de ses fiançailles avec Charlie. Il ajoute quelques mots de politesse, et part, reconduit par Yvonne. Sans enlever ni son chapeau, ni son manteau, Pierrette a pénétré dans le boudoir. C’est assez insolite que sa mère ne soit pas venue reconduire elle-même ce personnage. Elle n’aperçoit personne. Elle se rend à sa chambre, frappe un coup discret, et entend un :

— Est-ce toi Pierrette ? tout mouillé de larmes.

Elle se précipite, non sans un serrement de cœur, dans cette pièce dont les stores sont baissés.