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Quand ils eurent fini, Madame des Orties les pria de recommencer ;

— C’est un véritable enchantement.

Ils s’exécutèrent de bonne grâce. Pierrette fit même remarquer :

— Cela nous servira d’exercice si jamais nous voulons nous faire entendre ensemble ailleurs.

Ensuite Pierrette interpréta : « La prière du naufragé » de Gilis.

Ce morceau sentimental semblait avoir été écrit pour elle. On l’aurait pu croire suspendue par un fil au-dessus des flots. En réalité, elle se demandait comment se tirer non d’un naufrage, mais du dilemme dans lequel elle s’était placée. Elle rendit le morceau avec un art consommé.

Elle chanta : « La légende des roses » de Maurice Pesse. Pour finir, elle joua avec brillo le « Fra Diavolo » de Sydney Smith.

Elle rangea le recueil des opéras de cet auteur, remît toute la musique en ordre, et ferma l’instrument.

Elle reprit sa place et le jeune homme l’imita. La conversation languissait et Pierrette était lasse.

Guy de Morais se retira quelques minutes plus tard.

C’est le 31 décembre. Dans la grande salle de bal du Château Frontenac au milieu des groupes presque tous jeunes, séduisants, il est quelqu’un qui ne peut passer inaperçue, et cette personne : c’est Pierrette. Elle porte une robe de satin blanc à traîne, des souliers à reflets d’argent, au-dessus de ses yeux noirs qui étincellent, de la bouche qui sourit, brille dans le sombre des cheveux un éclatant nimbe de diamants. Elle n’a pas encore manqué une seule danse. Son compagnon, grand, mince, moustache blonde, yeux bleus, porte avec une aisance et une distinction remarquables l’habit de soirée. Ils évoluent avec une grâce parfaite. Jamais peut-être, depuis très longtemps certain, Pierrette ne s’est sentie si assurée, si enjouée, si heureuse. Elle a voulu chasser bien loin tous les souvenirs importuns.