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— C’est vrai.

Il prend dans les siennes la main gantée, dextrement enlève le gant de peau, et porte la main à ses lèvres.

Pierrette dit, bougonne :

— Tu sais bien que je n’aime pas cela.

Il la regarde attendri. Les mots qu’il voudrait dire sont rebelles. Il se contente de la regarder. Puis, brusquement, s’enfuit.

L’auto s’engage sur la passerelle. Pierrette accoudée regarde son fiancé que l’onde va porter bien loin. Un dernier cri de sirène, les passerelles sont enlevées, le bateau s’éloigne dans un amas de fumées grises. La main de Pierrette esquisse un ultime geste d’adieu. Les jeunes gens enlèvent leurs chapeaux et les agitent au-dessus de leurs têtes ; puis, elle ne distingue plus rien.

Longtemps elle reste immobile à la même place. Elle regrette le départ de Charlie, mais elle ne peut arriver à savoir pourquoi, tout comme elle se demande quelles raisons l’ont fait accepter de devenir sa femme. Elle s’interroge anxieuse : comme elle l’aime peu — mais qu’en sait-elle, — c’est peut-être toujours ainsi.

Pierrette sent quelque chose de chaud qui glisse sur ses joues. Pas ça, par exemple, dit-elle, impatientée, et sautant dans la machine, elle part, bientôt la ville est loin derrière elle. L’auto court sur la route de Charlesbourg, et file en vitesse. Quand elle est bien grisée d’air et de liberté, elle revient.

Sa mère, habituée de laisser la jeune fille libre de ses allées et venues, ne s’inquiète pas.

Elle n’a pas pleuré, elle ne pleurera pas, elle ne le veut pas. Ses amies se gausseraient d’elle. Elle chante son amour parti mais qui reviendra. De sa chambre on entend monter les notes tendres : « Ton Pierrot t’aime bien, ma Pierrette chérie. »

Assis sur le pont du bateau qui glisse doucement sur les flots gris bleutés. Charlie reste silencieux : il pense à sa fiancée qu’il vient de laisser, il pense mélancoliquement à toutes les paroles tendres qu’il s’était promis de lui dire avant de s’embarquer et qu’il n’a pas