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L’enfant donna une adresse du quartier le plus pauvre de la ville, là où les trois repas ne sont pas réguliers tous les jours, dans ces logis où la promiscuité tient lieu de chauffage.

Elle donna une tape sur la joue du pauvre petit, et elles s’éloignèrent, la maman et la fille tendrement appuyées l’une sur l’autre.

— Te sens-tu assez bien, mignonne, pour aller jusque là ?

— Oui, maman, je le crois. En tout cas, si mes forces allaient me trahir nous n’aurions qu’à héler un taxi.

Elles arrivèrent dans l’un de ces taudis infects, dans lesquels s’entassent deux ou trois familles, dans un logement de quatre ou cinq chambres. En entrant, elles aperçurent sur un grabat, une femme ; ou plutôt une loque humaine. Pour arriver jusqu’à elle il fallait enjamber des vêtements accumulés, des enfants perdus au milieu de ce désordre. Il était facile de voir que tous les petits, nombreux, couchaient sur le plancher. Madame des Orties restait emmêlée dans un chiffon qui s’attachait à ses couvre-chaussures. Pierrette retrouvait sa souplesse acquise par de longs exercices de sport. Sans encombre, elle était déjà près du lit.

— Vous êtes malade ? Madame, questionna-t-elle, en se penchant au-dessus de la forme indécise émergeant de cet amas de malpropreté.

La jeune femme sortit une main amaigrie :

— Je ne suis pas malade, je n’en puis plus. Ah ! vous ne savez pas, vous, ma bonne demoiselle, ce que c’est la vie. Mon mari ne travaille jamais ou presque, quand il travaille, il boit tout son gagne.

Un juron à l’adresse de la brute, accompagna ces dernières paroles, Pierrette frissonna toute. Elle regardait attentivement cette femme qui pouvait avoir trente-deux ou trente-trois ans, et qui paraissait au moins de dix ans plus vieille. Les cheveux étaient déjà blancs aux tempes, les nerfs du cou saillaient, et pouvaient être comptés, les yeux n’avaient aucun éclat.