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Pourtant, Pierrette n’a jamais été plus conséquente avec elle-même. Avant de donner cette réponse, elle a réfléchi, elle a consulté, et sa détermination ne fait nul doute. Il ne faut pas qu’elle se laisse attendrir.

Charlie s’est avancé dans la direction de la jeune fille : comme ce sanglot lui fait mal à entendre, il tend la main pour saisir la sienne.

Elle se dérobe et lui fait signe de regagner son siège.

— Tu ne peux comprendre, Charlie, combien grande est ta revanche. J’ai du chagrin, mais du chagrin ; et de nouveau un sanglot soulève sa poitrine. Charlie, tu ne comprends pas, tu ne veux pas comprendre. Autrefois, tu dois le sentir maintenant, je ne t’aimais pas, nos relations étaient faites de camaraderie. Le jour ou l’amour vrai s’est éveillé dans mon cœur, c’est pour un être vil et méprisable qu’il s’est allumé. Par ses procédés, qu’il me répugne de te narrer, il a tué en moi cet amour que j’avais voué dans mon imagination toute neuve à un être idéal qu’il n’était pas. Aujourd’hui que j’ai souffert, que j’ai appris à juger la noblesse et le désintéressement de ton amour, je t’aime, je t’aime plus que je ne saurais te le dire, et c’est parce que je t’aime et t’estime que je te répète :

— Oublie-moi, sois heureux.

— Mais Pierrette, je ne saurais être heureux sans toi. Que deviendras-tu ? Tu es obligée de travailler pour gagner ta vie. Pour que je sois heureux, il faut que tu le sois tout d’abord.

De nouveau il laisse son siège et se rapproche de Pierrette, mais il ne tente pas de la toucher. Elle paraît farouche, tant elle fait effort afin de ne pas laisser deviner l’âpreté de la lutté intérieure qu’elle doit subir.

— Dis-moi, au moins, Pierrette, que tu ne me repousses pas à cause des racontars. Je le sais, dans le monde, les mauvaises langues se plaisent à dire que tu mets tout en œuvre pour reconquérir celui que tu as délaissé. Tu sais bien que c’est faux. Tu sais bien que je ne puis le croire une minute.