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chaque minute de ce silence qui se continue, l’enfonce plus avant dans son sentiment d’impuissance déjà si aigu. Il s’insurge intérieurement contre sa faiblesse qui lui a fait accepter toutes les conditions de Pierrette. Il a perdu tous ses moyens. Il se tiendrait à son siège s’il ne faisait attention, afin d’arrêter ce mouvement de dégringolade dont il se sent l’impression.

Enfin il élève la voix, et il lui semble que les tentures, les meubles, sont aussi stupéfiés que lui-même de l’entendre.

— Pierrette, dit-il suppliant, pourquoi me mettre ainsi à la torture ? Tu sais bien quel est le motif qui m’a ramené vers toi. Je te voudrais heureuse, Pierrette, dis, est-ce encore possible ? dis que je n’ai pas attendu trop longtemps ?

La jeune fille reste silencieuse, son visage ne laisse rien voir des sentiments qui la bouleversent, elle est seulement très pâle.

Charlie répète :

— Dis que je n’ai pas attendu trop tard.

Le silence devient lourd après cette prière.

Pierrette tord ses mains :

— Charlie, tu me fais souffrir horriblement, si tu savais combien il m’est dur de te faire de la peine, de te repousser. Mais c’est impossible ! impossible !

Ses mains se ferment l’une sur l’autre, et elle continue d’une voix hachée :

— Je t’aime plus et mieux que je ne t’ai jamais aimé, je t’aime trop pour accepter. M’avais-tu donc cru un cœur de roche, incapable d’apprécier cet amour si grand, si noble, si désintéressé que tu m’offres ? Mais ne comprends-tu pas que la grandeur même de cet amour m’accable. Oh Charlie !

Sa voix meurt dans un sanglot.

Charlie ne peut comprendre cette incohérence. Ce que les femmes sont complexes ! Elles ne peuvent donc jamais énoncer une idée clairement comme eux, les hommes, savent le faire ?