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La parfaite bonne grâce du jeune homme réussit à illusionner Madame des Orties. Il s’extasiait sur la belle disposition de leur nouveau logis. N’était-ce pas vraiment un miracle qu’elles fussent arrivées à conserver la plus grande partie de leurs meubles, à garder à Madame des Orties l’illusion du luxe de jadis, par la proximité de sa chambre avec le salon, par la disposition quasi analogue de son appartement ?

Un peu surpris de voir le grand air de cette épave du passé, il voulut questionner la bonne. Mais Yvonne n’aimait pas plus les étrangers que les visites, maintenant qu’elles signifiaient des dépenses pour sa jeune maîtresse, laquelle s’ingéniait à ne pas paraître déchoir.

— Mademoiselle paie tout ce qu’elle achète, Mademoiselle n’a pas de dettes.

La brave Yvonne ne voulut rien ajouter.

Pierrette dut subir une nouvelle épreuve de la part de son cousin ; il y mit tout son bon cœur, mais il ignorait combien cette proposition pouvait être désagréable à la jeune fille qu’il avait connue si peu réfléchie, si fantasque même.

Il fait un demi jour tendre comme en prodigue la fin des belles journées d’eté, les appliques électriques du salon n’ont pas encore été allumées. Pierrette est assise au piano et laisse ses doigts errer sur les touches, au gré de l’imagination. Elle a joué et chanté pour son cousin des morceaux agréables, gais, amusants : maintenant, elle joue en sourdine des accords d’une souveraine tristesse.

Le jeune homme en est ému jusqu’au fond de l’âme : il se dit : « Ce détachement de tout n’est que superficiel ; Pierrette est profondément malheureuse. » Se levant, il se rapproche de sa cousine et saisissant les doigts qui errent sur le clavier, il les emprisonne dans ses mains.

— Tu sais, j’avais un message pour toi et n’osais te le transmettre. Cette demi obscurité me donne du courage ; écoute-moi bien : Guy de Morais ne t’a pas oubliée quoique tu puisses en penser.