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elle vous dit ce qu’elle pense avec un aplomb. Je l’étudierai à fond. Elle en vaut la peine ».

Le bateau accoste ; la mer, peu contente d’être ainsi brisée dans son courant, fait mille petits remous. Pierrette est au volant, elle attend patiemment son tour. Dans les rues étroites, elle conduit lentement. Ses compagnons regardent, admirent. À son goût, il n’y a de beau que le fleuve.

— Aimez-vous Lévis ? demande M. de Morais.

— Vu d’une seule façon.

— Et, peut-on savoir de quelle manière ?

— Oui, vu de Québec, le soir, sur la Terrasse Dufferin.

— Vous nous y conduirez.

— Ce n’est pas une excursion à faire en auto !

Son rire frais résonne cristallin et frappe désagréablement les oreilles de son interlocuteur.

— Qu’ai-je dit de si drôle ? questionne-t-il, l’air piqué.

Rien, répond Benoit. Ma cousine est maligne, voilà tout : si elle ne se promène pas en machine sur la terrasse, elle peut fort bien parcourir le trajet de l’aller et du retour de cette manière, et parquer au Château Frontenac.

Pierrette reste maintenant silencieuse et se demande quel démon la pousse ainsi à se moquer de ce jeune homme si poli, si correct avec elle.

Ils arrivent au pont. Pierrette stoppe et dit :

— Regardez, c’est le temps.

L’énorme structure de fer faisait une grande tache sombre dans la transparence bleutée de l’air matinal.

— Un gigantesque travail, un succès de la science sur la nature.

— Oui, mais qui a coûté bien des vies humaines.

La jeune fille faisait allusion aux deux terribles catastrophes qui s’étaient produites lorsqu’on avait tout d’abord essayé d’en poser la travée centrale. L’énorme masse de fer s’était écroulée entraînant avec elle de nombreux ouvriers. Et cette pensée avait suffi à jeter