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Elle hésite une minute et s’élance. Elle enlève ses gants blancs et les tend à Charlie :

— J’ai appris à les faire durer, dit-elle, et elle rit d’un petit rire nerveux.

Il la regarde à la dérobée, elle ne parle pas, ne s’occupe qu’à conduire avec prudence et sûreté, il voudrait bien percer ce front et savoir les idées qui se logent en dessous, mais elle a une figure figée, tendue dans un effort suprême d’indifférence.

Elle a pris la côte de la Montagne, la rue Buade, la rue de la Fabrique, la rue Saint-Jean, puis descend dans la partie basse du faubourg Saint-Jean-Baptiste. Elle stoppe la machine, descend, et lui lance, la voix âpre :

— Tu as voulu savoir où nous logeons ; nous en avons baissé, cela te fait-il plaisir ? Je puis te dire que, pour moi, ce m’est indifférent.

— Allons, Pierrette, reprend Charlie, pourquoi être méchante, tu sais bien que je n’ai pas voulu, par simple curiosité, savoir où tu demeurais ; j’ai tant désiré te revoir, j’ai tant souffert de te savoir obligée de travailler ! Oh Pierrette ! je t’en prie, comprends et ne m’accuse pas injustement. Tu as été sans le vouloir très dure envers moi, je ne te l’ai pas reproché, et ne te le reproche pas, mais pour une fois, sois juste à mon égard.

La jeune fille était engagée sur le marche-pied, le jeune homme debout sur le trottoir appuyait sa main à la portière de la voiture. Ils se trouvaient tous deux face à face. Pierrette pouvait lire sur le visage ouvert de Charlie la sincérité des paroles qu’il prononçait. Jamais, pourtant, elle ne l’avait connu éloquent comme ce soir.

— Tu as raison, mon ami, j’ai été injuste et méchante envers toi, ne regrette rien, j’ai été bien punie.

Sa voix avait pris, comme jadis quand elle lui parlait, des intonations douces, elle ajouta :

— Je ne puis m’attarder davantage, mère est maintenant habituée à mes sorties et à mes rentrées réguliè-