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CHAPITRE DIXIÈME

LE TRAVAIL FORCÉ


Dans un bureau bien éclairé, Pierrette est installée devant un pupitre. Pour la première fois ce matin, elle fait l’apprentissage du « struggle for life ». Avec sa jupe grise, sa blouse blanche, elle ressemble à une véritable jeune fille de bureau. Elle lit attentivement des papiers et les classe. Elle paraît très occupée.

Après une première semaine, son patron — comme ce mot semble drôle dans la bouche de la fière et indépendante Pierrette ! — son patron la demande à son bureau, et l’interroge :

— Trouvez-vous qu’on vous fait la vie trop dure ? Pensez-vous pouvoir vous habituer à rester enfermée ?

Pierrette lève ses beaux yeux noirs brillants pour répondre :

— Si je puis acquérir assez d’expérience pour vous rendre service, en ce qui me concerne, je suis enchantée de ma position.

Il sent bien que Pierrette n’a eu qu’à faire appel à sa bonne éducation pour répondre de la sorte. Certains jours, il a remarqué que les heures lui semblent bien longues ; et en effet malgré l’intérêt qu’elle porte à son travail, malgré le plaisir de penser qu’elle n’est plus obligée de contracter des dettes pour vivre, pensée qui l’encourage et la stimule, elle broie du noir. Passer ses jours entre les quatre murs d’un bureau quand on a été gâtée, quand la vie n’a été jusqu’à vingt et un ans occupée qu’au seul gré de ses caprices ou de ses désirs, le changement est trop radical pour ne pas amener un peu de tristesse.