Page:Filion - À deux, 1937.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 96 —

il était l’aîné, son père l’avait établi, mais établi avec des rentes à payer. Il a fait tout ce qu’il a pu pour la gagner, il a facilement réussi. Rien de surprenant : beau garçon, rangé, le meilleur parti de la paroisse. Mais elle avait un père, et son père ne voulait sous aucune considération consentir à ce mariage. Sa fille représentait un beau parti, elle s’unirait à quelqu’un d’aussi riche qu’elle. Il lui disait quand elle osait plaider la cause de son amoureux peu fortuné : « Attends, il n’est pas le seul parti de la paroisse ? » De son côté, à leurs rares rencontres, le jeune homme lui disait : « Attendons, ne brusquons rien, peut-être, plus tard le père voudra. » Trois années s’étaient écoulées et le père ne cédait pas. Je le regardais toujours de la même manière dans le banc, à la sortie de la messe. À la fin de la troisième année, il commençait à me parler. Je ne me sentais plus de joie, je pensais : « il commence de s’en détacher ; est-il permis d’être aussi peu civil avec un honnête garçon ? » Toute cette année qui suivit, ce que j’en adressai des requêtes à mes parents : c’étaient des gants de peau que je voulais avoir. N’avais-je pas remarqué que l’autre en portait ? Pour cette époque, et notre petit village, c’était un grand luxe. Mes parents, après quelques pourparlers, cédèrent, alléchés par la perspective de voir marier leur fille à un si bon parti. Puis ce fut un chapeau avec une plume dont j’eus envie, il me fut accordé. Mon père et ma mère se saignèrent aux quatre membres pour me voir mise à l’égal de l’autre : par orgueil. Nous avons tous péché par or-