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gards qui lui sembleraient converger vers elle. Elle aurait peur maintenant qu’ils ne voient sur sa figure, une infamie. Elle allait rapide, toutes les forces de son être concentrées vers ce but unique : savoir, savoir à tout prix quel secret cachait sa naissance, et était cause qu’une barrière infranchissable se dressait entre elle et l’homme qu’elle aimait. Sa mère n’avait pas voulu donner d’autres précisions que celles-là hier soir : « c’est impossible, c’est impossible. » Les paroles revenaient impitoyables, monotones, maintenant elle allait enfin savoir.

À neuf heures, elle sonnait à la porte de la communauté où s’étaient écoulées tant d’années de sa vie. Elle y était entrée à quatre ans, sortie à l’été, elle en avait dix-sept révolus.

Elle attendait dans le grand parloir aux murs nus, aux chaises correctement alignées, et tandis que le monotone tic tac de l’horloge écrasait les minutes et les secondes, le cœur de Laure battait avec précipitation pour s’arrêter presqu’aussitôt. Elle sentait tout son sang lui affluer au visage, pour se révulser quelques secondes plus tard à son cœur. Elle revoyait ses longues années d’internat jamais coupées par la moindre vacance. Jamais elle n’était allée chez sa mère, jamais elle n’était allée nulle part ailleurs. Il y avait donc dans sa vie un secret si lourd, si lourd à porter, si cruel et si vilain qu’il devait être caché à tous sans exception.

L’attente lui parut bien longue. Un quart d’heure plus tard, la religieuse qu’elle avait demandée