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souffrance de penser qu’une autre apprendra cette nouvelle, avant même d’en faire part à sa mère. Ironie du bonheur de la terre : nos plus grandes joies doivent comporter des ombres. Ce fut avec une crainte irraisonnée, qu’elle mit cette lettre dans une boite en se rendant au travail le lendemain, elle avait l’intuition que tout son bonheur s’en allait avec elle. Au magasin, elle retrouva tout son entrain, les clients étaient nombreux, elle n’avait pas une minute pour songer à elle, à ses pressentiments.

C’est dimanche. La lettre de la jeune fille est partie depuis la veille. Laure est allée à la messe de neuf et demie à Saint-Jacques, elle n’y a pas rencontré Alexandre. Le plus souvent maintenant, comme il sait à quelle heure et dans quel temple elle fait ses dévotions, il vient la rencontrer. Elle sent un petit désappointement en sortant de l’église, de se trouver si seule sur le trottoir, malgré le grand nombre d’indifférents qu’elle coudoie. Elle a tellement pris l’habitude de voir Alexandre lui ouvrir un chemin au milieu de cette foule, qu’elle se sent désorientée. Que fait-il ? Pourquoi n’est-il pas venu la rejoindre ? Son dîner à la longue table de l’« Ave Maria » fut triste. Pourquoi n’était-il pas encore arrivé ? Autant de points d’interrogation qui restent sans réponse. Ils s’étaient promis tant de bonheur de cette journée, où ni l’un ni l’autre ne serait occupé. Puis, ce serait leur dernière journée de tranquillité parfaite ; ensuite, les parents avertis, tous les préparatifs inévitables suivraient. Dans leur position, n’étaient-ils pas mieux de ne pas pro-