Page:Filion - À deux, 1937.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 165 —

servie pour le repas du soir. Une femme, encore belle, était debout devant le poêle, elle soulevait le couvercle d’une énorme marmite. Au bruit de la porte, elle s’était retournée, afin de cacher sa surprise, elle s’était rapprochée du poêle et remettait avec un bruit de granit heurté le couvercle de la soupière. Cette minute lui avait suffi pour dompter son émotion. Son mari avait annoncé d’une voix calme :

— Laure.

Elle devait être attendue, car une main s’était avancée qui pressait la sienne, quelqu’un la débarrassait de son manteau et de son béret. Elle se laissait faire, trop émue pour remercier. Elle était toujours debout au milieu de la chambre, la femme dit :

— Les petites filles vont entrer, elle montera tout à l’heure à sa chambre.

Laure n’a pas les yeux assez grands pour détailler la cuisine, pourtant bien simple, mais si différente de ce qu’elle a vu jusqu’ici. Une pièce immense, éclairée de trois larges fenêtres durant le jour ; le soir, une unique lampe à pétrole suspendue au-dessus de la table déverse une lumière blafarde. Des chaises autour de cette table recouverte d’une nappe de toile du pays, sur la blancheur de laquelle reluisent, frappées par la lumière, des assiettes de pierre blanche. Laure compte les couverts : dix. Elle songe : « Mon Dieu que d’étrangers ! » Dans le coin, l’évier, au-dessus, une batterie de cuisine qui reluit, une grande armoire vitrée