Page:Filion - À deux, 1937.djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 150 —

de son cœur il y a la plaie profonde et inguérissable qui saigne sans qu’aucune main amie n’y apporte un baume. Lucille se fait bien gentille mais tout comme Alexandre c’est un témoin du passé, et sans le savoir, leur seule vue lui est un surcroît de souffrance ; pas qu’elle soit jalouse, au contraire, elle travaille de toutes ses forces à les acheminer vers le bonheur. Elle se promet bien de laisser définitivement Montréal aussitôt qu’ils seront mariés. À certains moments, elle désespère de ne jamais voir ce beau rêve réalisé, pourtant il lui semble qu’elle sera plus heureuse, qu’un grand poids sera parti de ses épaules le jour où elle aura réparé le mal qu’elle a fait. Elle ne peut se pardonner d’avoir séparé ces deux êtres. C’est son expiation. Volontairement elle les laisse sortir seuls afin qu’ils retrouvent insensiblement leur intimité d’autrefois. Lucille ne lui fait pas de confidences, craignant de la faire souffrir ; pourtant elle a remarqué que les premiers soirs de ces sorties, la jeune fille est revenue plus triste, Laure a même entendu des sanglots étouffés à l’heure où Lucille la croyait endormie. Elle aurait voulu aller vers elle, la serrer dans ses bras, elle n’osait, se disant : « encore des larmes dont je suis cause, » et répétait dans son cœur : « Mon Dieu, mon Dieu quand cesserai-je de faire souffrir ceux qui me sont le plus chers, les seuls êtres au monde, après ma mère, qui m’aiment vraiment. »

Un soir, Alexandre est arrivé plus tôt qu’à l’ordinaire, il veut, dit-il, causer avant de partir sur la rue ; en réalité c’est Lucille qui lui a donné l’alerte