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— Ne serions-nous pas mieux d’aller souper tout de suite, vous êtes habitué à prendre votre repas du soir très tôt, puis nous aurions devant nous toute cette longue soirée.

— C’est bien, acquiesça son père, mais il faudra de nouveau gravir ces escaliers, au diable vos gratte-ciel, je préfère ma petite maison de campagne. Il n’y a toujours que huit marches à monter, et l’étage supérieur, c’est bon pour les femmes et les enfants, tu sais que c’est bien rare que j’y mette le nez.

Alexandre retrouvait non sans plaisir le ton facilement enjoué de son père. De nombreux souvenirs de son enfance passée au milieu de la liberté des champs, lui revenaient au contact de ce fervent de la terre.

Le père ne pouvait s’empêcher de ressentir un sentiment de légitime orgueil en regardant son fils, et en le comparant aux autres jeunes gens efféminés, étriqués, au teint pâle, au dos voûté, aux yeux enfoncés dans l’orbite, qui venaient nombreux s’asseoir à une table, boire une liqueur et repartir aussitôt ; il ne put retenir cette réflexion :

— S’ils se mettaient quelque chose sous la dent aussi.

Alexandre fut amusé de cette sortie :

— Probablement c’est qu’ils n’ont pas faim.

— As-tu jamais songé à la fortune que représente ta santé en voyant ces pauvres jeunes gens ?

— Oui, et souvent j’ai pensé que je vous en étais redevable par le sang qui coule dans mes veines,