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niment, mais il l’aimait toujours. Il était souvent distrait. Pour me dire un mot aimable, il devait y penser avant, ou bien y être incité par moi qui ne lui ménageait pas les compliments. Son élan n’était pas spontané. Jamais, jamais le moindre bon mouvement naturel. Dans la joie délirante de mon succès, ces détails infimes passaient inaperçus : je nageais dans une félicité sans nom. Après trois mois de cette vie à deux, je commençai à m’éveiller de mon long songe, et je finis par m’apercevoir qu’il n’était pas toujours satisfait. Notre vie paraissait lui être devenue une charge. Il était souvent rêveur. Et, malgré la bonne volonté que je déployais sans cesse à le contenter, il arrivait qu’il se fâchât pour des détails insignifiants, des riens parfois, que je lui disais en riant, je ne voulais toujours pas voir clair. Après quatre mois de notre vie commune, nous nous querellions chaque semaine, et ton père se mettait en un état qui me faisait peur, je commençai à cette époque à le craindre beaucoup plus qu’à ne l’aimer ; j’aurais voulu éviter toutes les occasions de dispute, mais c’était impossible, il prenait raison des plus futiles prétextes pour gronder. Je ne pouvais m’expliquer la cause de ce revirement. Je n’avais pas rêvé une vie de ménage aussi mouvementée, à la maison, le père et la mère n’avaient jamais de discussions. Dans sa famille, dans son entourage à lui, on le connaissait pour un garçon rangé, travailleur, jamais il n’était venu à mes oreilles qu’il fût querelleur.